6.2 Limites mÉthodologiques de l’Étude

Une première limite de notre recherche concerne l’étude des pauses (et des facteurs qui les déterminent) en A et en B. Pour approfondir cet aspect de notre enquête, il faudrait également un échantillon de sujets anglophones ayant l’italien comme langue B. Cela permettrait une comparaison « croisée » , basée sur les quatre situations suivantes: (i) discours d’arrivée en anglais, réalisé par des sujets anglophones ; (ii) discours d’arrivée en anglais, réalisé par des sujets italophones ; (iii) discours d’arrivée en italien, réalisé par des sujets anglophones ; (iv) discours d’arrivée en italien, réalisé par des sujets italophones. Sans ce genre d’analyse, les tests inter-langues ne peuvent être interprétées de façon univoque: à la limite, il est possible que les résultats reflètent des différences propres à l’italien et à l’anglais, sans égard à leur statut en tant que langues A et B respectivement.

En matière de combinaison linguistique, il paraît utile également que l’on considère d’autres langues. A cet égard, X. Cai (2000) a étudié différentes variables, y compris la durée des pauses, dans des interprétations consécutives réalisées en chinois (A) et en français (B). Cai identifie des pauses plus longues en français qu’en chinois, ce qui va dans le même sens que nos résultats.

Une deuxième limite méthodologique concerne la comparabilité des deux discours source utilisés pour les exercices de consécutive. A cet égard, nous avons remarqué deux caractéristiques du discours anglais qui ont peut-être contribué dans certains cas à des difficultés d’exression ou d’ordre logique. D’abord, les expressions parfois fortes qu’utilise l’orateur anglais pour critiquer la politique étrangère de l’Angleterre amène les sujets à chercher des reformulations plutôt « diplomatiques » (voir section 4.2). Deuxièmement, l’orateur anglais examine les relations anglo-européennes dans une perspective anglaise, ce qui crée peut-être chez certains sujets quelques doutes logiques sur son argumentation (voir 7.4.6). Certaines différences dans les pauses entre le discours anglais et le discours italien peuvent donc être attribuées à des différences (notamment le point de vue différent, et les positions fortes de l'orateur anglais) qui ne nous étaient pas apparues initialement.

Bien que les discours soient en principe comparables (voir ch. 6, section 3.4), il conviendrait de bien contrôler de telles variables imprévues dans des études futures basées sur la rétrospection des sujets. Dans ce but, une démarche possible consisterait à utiliser des extraits des discours prononcés à la Commission Européenne (par ex., par le Président de la Commission). Étant donné que les textes de nombreux discours sont officiellement disponibles en plusieurs langues (par ex., sur Internet), on pourrait construire des discours source à partir de deux versions différentes du même discours (par ex., une certaine partie du discours en italien et une autre partie en anglais). En vue d’une expérience comme la nôtre, les extraits en question pourraient être enregistrés par des locuteurs natifs des langues concernées. Par rapport à la démarche suivie dans la présente étude (emploi d’enregistrements « authentiques »), cela assurerait davantage la comparabilité des discours source. Une telle astuce ne signifierait même pas une perte sensible en matière de « validité écologique ». En réalité, toute étude expérimentale n’assure en principe cette « validité » que dans une mesure limitée. Par exemple, bien que nous ayons utilisé des discours source recueillis « sur le terrain », les sujets les ont interprétés dans des conditions artificielles (à partir d’un enregistrement, sans orateur ni public). D’ailleurs, nous avons déjà vu que plusieurs auteurs ne considèrent pas toujours comme pertinentes les critiques à l’égard de la « validité écologique » de la recherche sur l’interprétation (voir ch. 1, section 3.2).

Une troisième réserve possible sur notre étude est que les pauses ne représentent pas nécessairement des hésitations (voir ch. 2, sections 5.1 et 5.2). Étant donné qu’ill existe également un emploi stylistique des pauses, il n’est pas tout à fait sûr qu’elles représentent des indices de la fluidité du débit.

Dans ce cadre général, notre démarche est basée sur deux prémisses:

  1. les interprétations consécutives proposées dans l’étude ont essentiellement une fonction informative. Il paraît donc improbable que les sujets cherchent à créer des effets stylistiques à travers l’emploi des pauses (voir, en particulier, section 4.2 du prèsent chapitre: tableau 26). Toutefois, on ne peut exclure a priori la recherche d’un tel effet. En tout état de cause, la durée des pauses, à différents niveaux de formation/expérience et en fonction de la langue d’arrivée, fournit un terme de comparaison qui permet une évaluation cohérente et précise ;
  2. bien que les pauses ne soient pas nécessairement des hésitations, elles fournissent néanmoins des informations concernant la gestion du débit. Dans cette optique, M. Raupach (1980) et d’autres chercheurs les considèrent comme des « variables temporelles » du discours, et donc comme des indices de la fluidité du débit.