1.2.1. L’extension du modèle de 1978 : le modèle de situation (van Dijk & Kintsch, 1983)

1.2.1.a Les caractéristiques du modèle de situation

van Dijk et Kintsch (1983) définissent le modèle de situation comme ‘’la représentation cognitive des états, des événements, des actions, des individus et de la situation en générale qu’évoque le texte’ (van Dijk & Kintsch, 1983, p. 11-12). Les caractéristiques principales du modèle de situation sont les suivantes :

  • C’est une particularisation des informations contenues dans le texte qui se construit sur la base de la représentation sémantique du texte : elle correspond à un niveau de traitement et donc un niveau de compréhension plus profond. Ainsi, van Dijk et Kintsch (1983) distinguent nettement le modèle de situation de la macrostructure : ’‘Pour comprendre un texte, nous avons à nous représenter ce dont il parle. Si nous sommes incapables d’imaginer une situation dans laquelle certains individus ont les propriétés et les relations indiquées par le texte, nous n’avons pas une réelle compréhension du texte’’ (van Dijk & Kintsch, 1983, p. 337).

  • C’est le résultat d’un processus d’intégration des informations apportées par le texte aux connaissances initiales du lecteur (Kintsch, 1994). Ainsi, le modèle de situation réorganise la représentation sémantique du texte en fonction de ce que le lecteur a compris à propos du domaine abordé par le texte. Il reflète moins l’organisation du texte que les aspects saillants du texte appréhendés par le lecteur : c’est une structure de domaine plutôt qu’une structure de texte. Le modèle de situation peut donc être considéré comme un référent cognitif (Brouillet, 1994) : les individus (ou objets), les états et les événements qui constituent les ’‘pierres de construction’’ du modèle de situation ont une organisation qui est identique à celle de la situation représentée (principe d’identité structurale ; Johnson-Laird, 1983).

  • La construction du modèle de situation requiert la production d’inférences. En effet, il comporte un grand nombre d’éléments qui ne sont pas directement mentionnés dans le texte et qui doivent en conséquence être inférés. Ces inférences élaboratives correspondent à des instanciations d’informations contenues dans les structures de connaissances qui sont activées en mémoire à long-terme durant la compréhension (Graesser & Zwaan, 1995). Ce sont notamment les composantes spatio-temporelles de la situation, le but superordonné d’un événement, son antécédent causal, ou sa conséquence. Contrairement aux inférences qui sont produites de façon automatique pour former une interprétation propositionnelle du texte (e.g., inférences de liaison), les inférences qui sont nécessaires à la construction du modèle de situation relèvent d’un autre mode de contrôle. Elles sont optionnelles, dépendantes de leur pertinence pour la compréhension. Ainsi, selon l’hypothèse minimaliste proposée par McKoon et Ratcliff (1992) qui s’oppose à la conception constructionniste du traitement des inférences (Brandsford, Barclay, & Franks, 1972), les inférences élaboratives sont automatiquement encodées au cours de la lecture, si les connaissances du lecteur sur lesquelles elles se basent sont facilement récupérables en mémoire de travail.

  • La construction du modèle de situation, qui est une représentation analogique de la situation évoquée dans le texte, peut s’effectuer à la fois sur la base d’informations textuelles et figuratives. Cette propriété est importante lorsqu’on étudie le traitement de textes scientifiques, ces derniers étant généralement accompagnés d’illustrations. Dans le modèle d’acquisition de connaissances à partir de textes et d’illustrations de Schnotz (Schnotz & al., 2002) que nous présenterons, le modèle de la situation qui est illustré est formé en appariant des entités et relations visuo-spatiales spécifiques à des entités et des relations sémantiques spécifiques.