1.2.2.c Des recherches qui s’appuient sur le modèle de Kintsch (1988, 1992, 1998)

Pour une représentation ’multi-niveaux’ du texte

Plusieurs expériences (e.g., Kintsch, Welsch, Schmalhofer, & Zimny, 1990 ; Tapiero, 1992) se sont basées sur le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1992, 1998) pour rendre compte des processus à l’oeuvre dans la reconnaissance d’énoncés issus de textes. L’hypothèse commune à ces expériences, postule que lire un texte conduit le lecteur à construire différents niveaux de représentation : la structure de surface, la structure sémantique locale et globale (les micro- et macrostructures), et le modèle de situation (van Dijk & Kintsch, 1983 ; Kintsch, 1988). Reliés à ces niveaux, cinq types d’énoncés à reconnaître peuvent être formés : [1] des phrases originales, [2] des variations sémantiques proches (paraphrases), [3] des inférences, [4] des variations sémantiques lointaines portant sur le même modèle de situation que celui référant au texte, et [5] des énoncés portant sur un autre modèle que celui auquel réfère le texte. Les performances de reconnaissance pour ces différents énoncés sont supposées informer sur les traces mnésiques associées à la représentation de ces différents niveaux, ainsi que sur l’oubli différentiel de ces traces en relation avec ces niveaux.

Kintsch et ses collaborateurs (1990) ont repris les résultats d’une expérience de reconnaissance menée par Zimny (1987), dans laquelle ont été proposées des phrases originales extraites de textes se rapportant à des séquences d’événements (des scripts), des paraphrases, des inférences et des phrases distractrices de deux catégories (i.e., non reliées versus contextuellement appropriées). Les phrases originales sont représentées aux trois niveaux de représentation : la structure de surface, la base de texte et le modèle de situation. Les paraphrases impliquent des changements lexicaux et syntaxiques dans la structure de surface, mais ont un contenu sémantique qui reste analogue à celui de la base de texte et du modèle de situation. Les inférences qui ne sont pas directement dérivées du texte, diffèrent des représentations mnésiques de la structure de surface et du contenu propositionnel mais font partie du même modèle de situation. Les phrases distractrices contextuellement reliées font référence à un autre modèle de situation que celui évoqué par le texte. La présentation de ces cinq types d’énoncés a été réalisée en faisant varier l’intervalle temporel entre la lecture et la reconnaissance. Ainsi, selon les groupes, la reconnaissance intervenait immédiatement, 40 minutes, 2 ou 4 jours après la lecture.

L’analyse des pourcentages de réponse ’Oui’ a indiqué un effet significatif du type de phrase à reconnaître, de l’intervalle temporel et de l’interaction entre ces deux facteurs. Pour éliminer les biais de réponse qui sont dépendants des délais (i.e., au test immédiat, les sujets utilisent un critère strict pour donner leur réponse, tandis qu’après 4 jours, leur évaluation se fait selon des critères plus faibles), ces pourcentages ont été transformés en mesures de sensibilité d’ (Bonnet, 1986) en utilisant comme base les phrases distractrices inappropriées au contexte. De plus, des mesures de différences entre les d’ ont été réalisées. La différence entre les poids mnésiques des phrases originales et des paraphrases (représentés par leur d’ respectif) apportait une mesure de la force de la représentation de surface. La différence entre les poids mnésiques des paraphrases et des inférences apportait une mesure de la force de la base de texte. Enfin, la différence entre les poids mnésiques des distracteurs contextuellement appropriés et des inférences apportait une mesure de la force du modèle de situation (Kintsch & al., 1990). Une analyse statistique des données a montré une interaction significative entre l’intervalle temporel et le type de trace mnésique. La trace mnésique de la structure de surface a été observée uniquement pour le test de reconnaissance immédiat. La mémoire de la base de texte, initialement très forte, diminuait avec l’augmentation du délai, mais restait supérieure à zéro même après un délai de quatre jours. En revanche, la mémoire situationnelle restait à un niveau élevé indépendamment du délai.

Ces résultats sont à rapprocher de ceux obtenus par Tapiero (1992) à partir d’une tâche de reconnaissance à laquelle des adultes étaient affectés après la lecture d’un texte explicatif (’la reproduction des lamantins’) et qui leur proposait les mêmes types d’énoncés que ceux manipulés par Zimny (1987) (i.e., phrases originales, paraphrases, inférences, distracteurs reliés ou non-reliés au contexte textuel). L’auteur a ainsi observé que les performances des sujets étaient plus importantes pour les phrases originales que pour les inférences et étaient les plus faibles pour les paraphrases. A l’inverse, les temps de reconnaissance obtenus pour les inférences étaient plus longs que ceux obtenus pour les phrases originales et les paraphrases, ces derniers ne se différenciant pas de façon significative. Ces résultats ont montré d’une part, que les lecteurs étaient capables de rejeter correctement les inférences mais que cette tâche nécessitait toutefois un temps de traitement important (les lecteurs construisent-ils alors les inférences durant la lecture ou durant le processus de récupération en mémoire?) et d’autre part, que le déclin en mémoire du niveau de surface était plus rapide que pour les autres niveaux : le lecteur ne pouvait pas différencier ce qu’il avait réellement lu dans le texte (phrases originales) des autres énoncés distracteurs (paraphrases, inférences, énoncés contextuellement reliés) même si la tâche de reconnaissance était réalisée immédiatement après la lecture du texte. Ce dernier résultat rejoint donc celui obtenu par Zimny (1987).