La compréhension chez des experts et des novices (Kintsch, 1994)

Le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1992, 1998) peut également être utilisé pour étudier la façon dont les connaissances sur un domaine scientifique peuvent être impliquées dans l’apprentissage à partir d’un texte (e.g., Patel & Groen, 1991 ; Tapiero, soumis). A partir de son modèle, Kintsch (1994) a simulé la façon dont des experts et des novices dans un domaine (la médecine) ont compris un paragraphe d’un texte scientifique sur une maladie cardio-vasculaire. Dans une expérience menée par McNamara, E. Kintsch, Butler-Songer et W. Kintsch (1996), les réponses correctes des sujets à un pré-test permettaient d’évaluer leurs connaissances initiales sur le fonctionnement du coeur.

Le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1992, 1998) postule qu’à chaque fois qu’un élément textuel est associé à un élément du réseau de connaissances en mémoire à long-terme, ce dernier doit être inclus avec succès dans le réseau de la base de texte. Par exemple, dans la figure 1 (Cf. p. 46), nous pouvons observer que la phrase ’Le coeur réapprovisionne le corps en sang’ active la proposition POMPER[COEUR,SANG] (dans la figure 1 : PUMP[HEART,BLOOD]) dans le réseau d’un novice, tandis qu’elle active la proposition S’ECOULER[SANG, A PARTIR DE-COEUR, JUSQU’A-CORPS] (dans la figure 1 : FLOW[BLOOD, FROM-HEART, TO-BODY]) dans le réseau d’un expert. Ainsi, 12 noeuds de connaissances ont été inclus de cette manière dans le modèle de situation construit par les experts, alors que seulement un noeud l’a été dans celui des novices. L’ajout des noeuds de connaissances aux propositions du texte a été effectué à chaque cycle de traitement suivant l’hypothèse selon laquelle l’accès à ces éléments en mémoire de travail à long-terme (Ericsson & Kintsch, 1991) ne consommerait pas de ressources cognitives (Kintsch, 1994 ; McKoon & Ratcliff, 1992).

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FIGURE 1. Les cartes de connaissances d’un expert (a) et d’un novice (b) obtenues au pré-test de l’expérience de McNamara, Kintsch, Butler-Songer, & Kintsch (1996). D’après Kintsch (1994).

Les détails de la simulation ne sont présentés ici que de façon très sommaire (la simulation n’étant pas l’objectif de nos recherches). Après avoir décomposé le texte d’apprentissage à partir de l’analyse propositionnelle (Kintsch & van Dijk, 1978 ; van Dijk & Kintsch, 1983), la compréhension de ce texte a été simulée à partir du modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1992, 1998) avec les paramètres suivants : les cycles à l’entrée (i.e., un cycle correspondant à une phrase), la taille du tampon en mémoire de travail (s) (s = 5 éléments) et le poids des connexions dans le réseau (p). Le modèle lisait la première phrase du texte, puis la suivante, et continuait jusqu’à ce qu’il ait traité au moins 5 éléments. A ce moment-là, le modèle récupérait dans son réseau de connaissances toutes les informations reliées aux phrases traitées et intégraient ces éléments au réseau. Des simulations séparées ont été réalisées pour les lecteurs experts et novices dans le domaine. Dans l’ensemble, il n’y avait pas de différences importantes entre les deux groupes d’expertise en ce qui concerne les éléments textuels : les valeurs moyennes d’activation par élément textuel étaient pratiquement égales pour ces deux groupes. Ce résultat montre donc que les connaissances initiales des lecteurs n’ont pas d’effet significatif sur la construction de la base de texte. Par contre, lorsque les connaissances étaient ajoutées à la base de texte, les valeurs d’activation obtenues étaient évidemment plus élevées pour les experts, puisque 12 éléments de connaissances ont été inclus dans la simulation pour ces derniers contre seulement 1 élément pour les novices. Ce résultat montre donc une plus grande connexité du réseau pour les experts : la représentation épisodique du texte qu’ils ont formée est une structure totalement intégrée à leurs connaissances en mémoire permanente, qui peut être activée et utilisée dans de nouvelles situations en l’absence même d’indices contextuels de récupération. Par contre, la représentation épisodique du texte que les novices ont élaborée est une structure qui est isolée en mémoire (ou compartimentalisée, voir Potts & Peterson, 1985), et qui ne peut être récupérée que si le seul lien qu’elle partage avec le réseau de connaissances initiales (e.g., la proposition ’le coeur pompe du sang’) est un indice présent dans le nouveau contexte. Par conséquent, le modèle de Construction-Intégration (Kintsch, 1988, 1992, 1998) prédit que les experts et les novices dans un domaine devraient être capables de reproduire de façon équivalente le texte, tandis que les experts devraient être plus performants que les novices pour reconstruire et élaborer le texte et donc pour apprendre à partir du texte (Kintsch, 1994). Cette hypothèse a été vérifiée empiriquement dans une étude réalisée par McNamara, E. Kintsch, Butler-Songer et W. Kintsch (1996), étude sur laquelle nous nous sommes basées pour élaborer notre première expérience et que nous décrirons donc ultérieurement.