La contribution des représentations d’état et d’événement dans le traitement cognitif

La distinction entre les deux classes de procès - les états et les événements - qui a été faite dans le cadre d’une sémantique cognitive (Cf. Baudet, 1990 ; François, 1989, 1990, 1997 ; Jackendoff, 1983) renvoie au contraste entre les notions de permanence et de changement qui est une des bases majeures du développement de la cognition. Au début de la période sensori-motrice (0-7 mois), le mouvement est un processus primitif de l’organisation perceptive. Les bébés éprouvent des difficultés à discriminer des objets entre eux, s’ils leur sont présentés de façon stable : une cohérence perceptive ne peut être réalisée que si les objets sont en mouvement (Streri & Spelke, 1989). Vers la fin de la période sensori-motrice (18-24 mois), au moment où l’enfant se différencie de l’univers dans lequel il agit, les objets acquièrent une certaine permanence spatio-temporelle. L’enfant prend alors conscience que les objets existent en dehors de son action ou de sa perception, et développe la capacité à intérioriser mentalement un événement absent (avènement de la représentation). Piaget (1970, 1988) évoque de nouveau le contraste entre les notions de permanence et de changement pour décrire le stade opératoire concret (7-8 ans à 11-12 ans). Ce niveau de développement cognitif se caractérise par le passage de la pensée de l’enfant du mode figuratif au mode opératif. L’enfant ne se focalise plus uniquement sur les états du réel (qui se rapportent aux aspects figuratifs de la connaissance), il tient compte également des transformations qui opèrent sur le réel (qui se rapportent aux aspects opératifs de la connaissance). A ce stade, les transformations sont considérées comme des événements réversibles modifiant certaines variables et conservant les autres à titre d’invariants. Le passage au stade opératoire concret se fait progressivement, en 3 phases : une phase de préparation, une phase de transition, et une phase d’achèvement. Durant la phase de préparation, le figuratif domine : les systèmes perceptif et cognitif recherchent la constance sous le flux permanent de variations de l’information (Tapiero, 1992). Lors de la phase de transition, les modes figuratif et opératif agissent ensemble, sans que l’un domine l’autre. Au cours de la phase d’achèvement, l’opératif s’émancipe du figuratif, et permet de restructurer la représentation sous une forme plus stable.

Les adultes effectuent également un traitement différencié des représentations d’état et d’événement. Des travaux sur la compréhension de textes narratifs ont montré que la probabilité de rappel (ou de reconnaissance) était plus importante pour les événements que pour les états (e.g., Graesser, Robertson, Lovelace, & Swinehart, 1980). De plus, les événements étaient inférés durant la lecture tandis que les états ne l’étaient pas (Seifert, Robertson, & Black, 1985). Enfin, Robertson (1986) a observé qu’il était plus facile d’altérer la représentation mnésique des états que celle des événements, et ce par le biais de questions présentées après la lecture dont le but était d’induire en erreur les sujets. Ces résultats soutiennent donc l’idée que les événements feraient l’objet d’un traitement plus approfondi, et auraient un poids mnésique plus important comparés aux états. Nous considérons néanmoins que la portée d’une telle interprétation est limitée et ce, parce que ces recherches n’ont manipulé que des états et des événements qui étaient relativement familiers aux lecteurs. En effet, elles n’avaient pas pour finalité d’étudier l’évolution de ces deux classes de représentation suite à un apprentissage (à partir d’un texte) chez des sujets de niveau d’expertise différents (experts et débutants). Aussi, la question que nous nous posons dans le cadre de nos travaux de recherche, est de savoir si les experts et les débutants dans le domaine auquel réfère le texte se différencient ou non dans les performances mnésiques entre les états et les événements. Nous faisons l’hypothèse selon laquelle les prises en compte différenciées des deux catégories (états et événements) devraient varier en fonction de l’état initial de connaissances du lecteur. Tout comme chez l’enfant, la construction d’une représentation stable et cohérente d’un domaine devrait également se faire en trois phases (i.e., phase de préparation, phase de transition, phase d’achèvement). Durant la phase de préparation, les sujets devraient se focaliser davantage sur les états du domaine, lesquels constitueraient alors des points d’ancrage de la représentation autour desquels les événements graviteraient. Ainsi, une connaissance préalable des états devrait être requise pour comprendre les événements du domaine ainsi que leur séquence temporelle et causale. Lors de la phase de transition, les informations relatives aux états et aux événements du domaine devraient être prises en compte de façon non-différenciée par les apprenants. Enfin, au cours de la phase d’achèvement, les apprenants devraient se focaliser davantage sur les événements, dont la compréhension permettrait en retour de mieux appréhender les états du domaine.