Effet du niveau d’expertise des apprenants sur la représentation en système d’un domaine

Baudet et Denhière (1991) ont étudié l’évolution de la représentation mentale d’un système fonctionnel (le démarrage à commande électromagnétique d’un moteur), chez trois groupes d’élèves qui suivaient le même enseignement en mécanique automobile. Ces trois groupes différaient par leur niveau d’expertise sur le domaine à acquérir : un groupe avec un bon niveau de connaissances (G1), un groupe intermédiaire (G2), et un groupe avec peu de connaissances (G3). Les auteurs ont défini la microstructure du domaine en reliant les états et les événements du domaine par un chemin causal. La macrostructure du domaine a été obtenue en catégorisant et hiérarchisant les états et les événements du domaine en fonction des buts du système, ceci pouvant s’accompagner d’une modification de l’ordre chronologique des états et des événements.

L’évaluation des représentations mentales, avant et après l’enseignement, a été réalisée à l’aide d’épreuves construites à partir de la double description du domaine. Ces tâches testaient les capacités de recouvrement en mémoire des informations sur les états et les événements du domaine ainsi que sur leurs relations causales (e.g. le questionnaire causal, le complément de triades lacunaires d’événements). Baudet et Denhière (1991) ont montré que l’accroissement de l’expertise se traduisait non seulement par un plus grand nombre de connaissances sur le domaine, mais aussi par la structuration de ces connaissances en système. Par ailleurs, les résultats ont montré que : [1] la structure du modèle mental du groupe G1 (avec un bon niveau de connaissances) était homologue à celle du domaine qui a été décrite en système fonctionnel, [2] le groupe G2 (groupe intermédiaire) a construit une représentation en système fonctionnel mais non en sous-systèmes (relatifs à chaque sous-but), et [3] la représentation mentale du groupe G3 (avec peu de connaissances) n’était pas organisée en un système fonctionnel : les sujets de ce groupe ne différenciaient pas le système de démarrage des autres systèmes qui composent l’automobile (e.g., le système d’allumage). Le résultat observé pour le groupe intermédiaire peut être rapproché de celui obtenu par Chiesi, Spilich et Voss (1979). Ces derniers ont étudié l’acquisition de connaissances relatives au baseball chez des sujets de niveaux d’expertise différents (experts et intermédiaires). Ce domaine sportif a été décrit en un système fonctionnel composé : d’une structure de but/sous-buts (le but superordonné étant de ’gagner la partie’), d’une séquence d’états qui sont les conditions du jeu à un moment donné de la partie, et d’une séquence d’événements et d’actions typiques dont l’enchaînement est fonction de la structure de buts. Les auteurs ont ainsi observé que si les deux groupes d’expertise étaient capables de fournir une définition appropriée de la structure de but/sous-buts du jeu, les intermédiaires avaient néanmoins des difficultés à interpréter et à apprécier l’importance d’une action particulière en fonction de la structure de buts.

L’analyse en système permet également de décrire l’organisation sémantique du texte, et d’en étudier ses effets sur la compréhension et l’apprentissage chez des sujets de niveau d’expertise différent. Ainsi, à partir de l’analyse du système de démarrage d’une automobile (Baudet & Denhière, 1991), Jhean-Larose (1991) a construit deux types de textes explicatifs dont le contenu sémantique était le même mais qui différaient par leurs caractéristiques de cohésion : la structure sémantique du premier texte était de nature causale, celle du second texte de nature téléologique. Les représentations mentales du système ont été évaluées, avant et après la lecture, à l’aide de questionnaires qui se distinguaient d’une part, par la nature sémantique de leurs questions (questions causales et téléologiques) et d’autre part, par leur degré d’exigence en activités de recouvrement en mémoire (questionnaires à choix multiples et ouverts). Les sujets étaient répartis en deux niveaux d’expertise (experts et novices) sur la base de leurs performances aux questionnaires initiaux. Les deux groupes lisaient ensuite un des deux types de texte (causal et téléologique) puis répondaient aux questionnaires finaux. Ainsi, Jhean-Larose (1991) a montré que la lecture d’un texte causal conduisait à de meilleures performances que celle d’un texte téléologique aussi bien pour le questionnaire causal que pour le questionnaire téléologique. Pour interpréter ce résultat, l’auteur a fait l’hypothèse selon laquelle l’apprentissage d’un système fonctionnel devrait nécessiter l’acquisition de la structure causale avant celle de la structure téléologique. Par ailleurs, les résultats ont montré que la différence entre les deux niveaux d’expertise était plus importante d’une part, pour le questionnement téléologique que pour le questionnement causal, et d’autre part, pour les épreuves exigeantes en activités de recouvrement en mémoire que pour celles non exigeantes. Ces deux résultats sont donc compatibles avec l’hypothèse selon laquelle les différents niveaux d’expertise devraient se différencier par une organisation en système fonctionnel.

Cailliès et Tapiero (1997) ont également étudié l’effet différentiel des deux types de structures sémantiques du texte (i.e., causale versus téléologique) sur l’apprentissage d’un système fonctionnel (le texteur Microsoft Word) par des sujets qui étaient répartis en trois niveaux d’expertise : des experts, des intermédiaires et des novices. Leur but était d’apporter des précisions sur la transition Novice-Expert, en étudiant l’organisation des connaissances des sujets intermédiaires. Trois principaux résultats ont été obtenus dans cette expérience. D’une part, l’accroissement de l’expertise peut être décrit par une évolution de la structuration des représentations vers un système fonctionnel autonome formé de sous-systèmes reliés par des relations en but/sous-buts, évolution qui se traduit par une augmentation de la rapidité de lecture, et par une plus grande facilité à relever les informations pertinentes du texte. D’autre part, les structures sémantiques des textes semblent être un facteur déterminant dans la représentation mentale des apprenants qui a été construite à l’issue de la lecture. Plus précisément, les experts ont une représentation mentale homologue de la structure téléologique par rapport aux novices et aux sujets de niveau intermédiaire, qui structurent leurs connaissances de façon causale. Ce résultat confirme le fait que la maîtrise de la structure transformationnelle est une condition à la maîtrise de la structure téléologique et que cette dernière s’acquiert avec l’expertise. Par conséquent, un novice qui apprend le fonctionnement d’un système, mémoriserait les informations de façon linéaire, et les organiserait grâce à un ’chemin causal’. Enfin, les résultats ont montré que les sujets intermédiaires rappelaient autant de propositions à l’issue de la lecture du texte causal que les sujets experts. Il semble donc, pour le rappel (indicé), que la structure textuelle causale permet aux sujets intermédiaires d’atteindre le ’niveau expert’. Pour expliquer ce dernier résultat, Cailliès et Tapiero (1997) ont fait référence aux travaux de Potts (Potts & Peterson, 1985 ; Potts & al., 1989) qui postule l’existence de deux modes d’intégration des informations apprises aux connaissances initiales en mémoire : l’incorporation et la compartimentalisation. Cailliès et Tapiero ont ainsi supposé que durant l’apprentissage, les experts utiliseraient les deux modes, tandis que les intermédiaires auraient plutôt tendance à compartimentaliser les connaissances apprises, ce qui leur faciliterait l’accès à certaines informations (celles du texte causal) et leur permettrait de récupérer facilement les informations comme un tout, ce tout étant peu relié aux connaissances préexistantes. ‘Cette stratégie rendrait compte du fait que, à la différence des experts, les intermédiaires rappellent les informations du texte causal comme un tout sans pour autant que ces informations soient réellement intégrées à leurs connaissances’ (Cailliès & Tapiero, 1997, p. 633).