CHAPITRE 3
Apprentissage à partir d’un texte scientifique : Effet d’un domaine, du niveau d’expertise initial des lecteurs, de la structure et de la nature sémantique du texte

Ce chapitre présente deux recherches que nous avons menées dans le but de déterminer les caractéristiques sémantiques d’un texte scientifique qui peuvent faciliter la compréhension et l’apprentissage d’un domaine particulier (i.e., le neurone) chez des lecteurs de niveaux d’expertise différents (experts, débutants). Nous supposons qu’un même texte ne peut pas être adapté à tous les lecteurs. Ainsi, pour les lecteurs avec peu de connaissances sur le domaine décrit par le texte, la compréhension doit être rendue plus facile, soit en réécrivant le texte de sorte que les relations entre les faits représentés par le texte soient explicites (e.g., Britton & Gulgoz, 1991 ; McKeown, Beck, Sinatra, & Loxterman, 1992 ; McNamara, Kintsch, Butler-Songer, & Kintsch), soit en leur fournissant des connaissances préalables sur le domaine sous la forme d’un organisateur initial (advance organizer) qui sont pertinentes pour le thème évoqué par le texte (e.g., Mannes & Kintsch, 1987 ; Mannes, 1994 ; Mannes & Hoyes, 1996). Pour les lecteurs avec de nombreuses connaissances initiales, la compréhension doit être rendue plus difficile pour les inciter à un traitement plus actif et plus profond du texte, soit en rendant le texte moins cohérent (e.g., McNamara, Kintsch, Butler-Songer, & Kintsch, 1996), soit en créant des interférences entre le modèle de situation qu’ils ont construit à partir d’un organisateur initial, et celui qu’ils ont formé à partir du texte d’apprentissage subséquent (e.g., Mannes & Kintsch, 1987 ; Mannes & Hoyes, 1996).

Trois principaux objectifs ont motivé notre première expérience. Le premier objectif était de définir de façon précise la structure (locale et globale) du domaine à acquérir (le neurone) à partir de la formalisation en systèmes proposée par Baudet et Denhière (1991). Le deuxième était d’étudier l’effet de l’adéquation entre la structure du domaine et la structure des connaissances des lecteurs sur la compréhension et l’apprentissage à partir du texte scientifique. Nous avons supposé que l’accroissement de l’expertise se traduirait non seulement par l’expansion de la structure de connaissances initiales, mais également par la restructuration de cette structure de sorte qu’elle soit homologue à celle du domaine d’apprentissage. Le troisième était de rendre compte d’une interaction entre les connaissances des lecteurs et la structure sémantique du texte. Nous nous sommes inspirées de l’expérience de McNamara et collaborateurs (1996) qui ont étudié l’effet de la cohérence référentielle (locale et globale) d’un texte scientifique (i.e., sur les mammifères) sur l’apprentissage par des experts et des novices. La particularité de notre travail de recherche est de tester l’effet de la structure temporo-causale du texte telle qu’elle est définie par la structure du domaine à acquérir. Il nous semblait pertinent de manipuler ce type de cohérence sémantique, sachant que les rapports de causalité entre les faits relatifs à un domaine sont déterminants dans la compréhension de textes scientifiques. Nous avons ainsi supposé que les débutants profiteraient davantage d’un texte dont l’organisation est homologue à la structure temporo-causale des états et des événements du domaine représenté. En revanche, les experts devraient tirer davantage profit d’un texte dans lequel les relations de causalité sont supprimées et la séquentialité des informations perturbée.

Notre deuxième expérience s’inscrit dans le cadre de travaux empiriques sur le rôle d’un organisateur initial sur la compréhension ultérieure d’un texte par des sujets de niveaux d’expertise différents (experts et débutants) (Mannes & Kintsch, 1987 ; Mannes & Hoyes, 1996). Ces travaux ont montré que, lorsque la structure (ou la perspective) du texte subséquent diffère de celle de l’organisateur initial, la compréhension de ce texte entraîne la révision du modèle mental initial (sa mise à jour) : il y a alors intégration des informations apportées par le texte aux connaissances acquises à partir de l’organisateur initial. L’objectif de cette expérience était double. D’une part, pour étendre les résultats de la première expérience quant à l’effet différentiel de deux types de représentations – états et événements – sur la construction du modèle de situation, nous avons étudié la relation entre la nature sémantique des connaissances apportées par l’organisateur initial et celle des informations nouvelles évoquées dans le texte subséquent. Nous avons ainsi supposé que les débutants profiteraient davantage d’une condition d’apprentissage dans laquelle la catégorie sémantique (états versus événements) des connaissances apportées par un organisateur initial est identique à celle des informations évoquées dans un texte subséquent (i.e., condition de congruence). En revanche, les experts bénéficieraient davantage d’une condition d’apprentissage dans laquelle la catégorie sémantique des connaissances de l’organisateur initial est différente de celle des informations du texte subséquent (i.e., condition de non-congruence). D’autre part, nous avons étudié l’effet des exigences de la tâche proposée aux lecteurs à l’issue de l’étude de l’organisateur initial, sur la compréhension du texte subséquent. D’après Graesser, Singer et Trabasso (1994), la réalisation d’une tâche à l’issue de la première phase d’apprentissage peut influencer les buts et stratégies de compréhension que les lecteurs adoptent au cours de la seconde phase d’apprentissage. Deux types de tâches ont été proposés aux lecteurs. Ils devaient réaliser soit un résumé sur la base de leur représentation sémantique de l’organisateur initial, soit un schéma sur la base de leur modèle de situation. Nous avons supposé que la tâche de résumé devrait inciter les lecteurs à se focaliser sur la mémorisation du texte subséquent, et donc à construire une représentation sémantique du texte plus détaillée que le modèle mental de la situation décrite. En revanche, nous nous attendons à l’inverse pour la tâche de schéma.