Une trop grande cohérence ne favoriserait pas un traitement actif du texte (McNamara & al., 1996)

Contrairement à McKeown et collaborateurs (1992), McNamara, E. Kintsch, Butler-Songer et W. Kintsch (1996) ont fait l’hypothèse que les experts sur le domaine auquel réfère le texte devraient bénéficier davantage de sa version faiblement cohérente que de sa version fortement cohérente, tandis que le pattern inverse devrait être observé pour les débutants. Placer des obstacles au cours de la lecture empêcherait en effet l’expert d’adopter un mode superficiel de traitement, en l’obligeant à utiliser ses connaissances pour produire des inférences de liaison et construire par là-même un modèle de situation plus élaboré (E. Kintsch & W. Kintsch, 1995). Pour tester cette hypothèse, McNamara (McNamara & al., 1996) a mené une expérience qui consistait à étudier l’apprentissage d’un domaine scientifique (les maladies cardio-vasculaires) par des sujets de niveaux d’expertise différents (experts et débutants), à partir de deux versions d’un même texte sur le domaine (i.e., fortement ou faiblement cohérente aux niveaux local et global). Les sujets effectuaient une tâche de classification de concepts relatifs au domaine, avant (pré-test) et à l’issue de la lecture (post-test). Avant la lecture, ce pré-test permettait d’évaluer la structure des connaissances initiales des lecteurs. Après la lecture, ce post-test permettait de rendre compte des modifications de la structure initiale, qui étaient considérées comme des indicateurs de la construction d’un modèle de situation. D’autre part, la représentation sémantique du texte scientifique a été évaluée à l’aide d’une tâche de rappel libre et de questions basées sur le texte, tandis que les performances des sujets à des questions sur des inférences étaient censées refléter la qualité de leur modèle de situation. Les résultats ont montré que les sujets affectés à la lecture du texte cohérent, avaient des performances de rappel supérieures à celles des sujets affectés à la lecture de la version faiblement cohérente, et ce aussi bien pour les experts que pour les débutants. De plus, les performances des débutants aux questions sur les inférences ont été plus importantes après la version fortement cohérente qu’après celle faiblement cohérente, tandis que le pattern inverse a été observé pour les experts. Enfin, l’analyse des données obtenues à la tâche de classification de concepts a indiqué que les experts organisaient plus volontiers les concepts selon l’ordre déterminé par la structure textuelle lorsque la version était faiblement cohérente, tandis que ce principe d’organisation n’était observé pour les débutants que lorsqu’ils ont lu le texte fortement cohérent. L’hypothèse qui a été formulé par McNamara et collaborateurs (1996) a donc été confirmée.

McNamara et Kintsch (1996) ont souhaité répliquer ces résultats (McNamara & al., 1996) en étudiant l’apprentissage d’un autre domaine à partir de textes - la guerre du Vietnam. Le domaine d’un texte est un facteur important dont la compréhension dépend plus ou moins de la construction d’un modèle mental. Cette étude avait également pour but d’apporter des mesures on-line de la compréhension, en collectant les temps de lecture pour les deux versions du texte (faiblement et fortement cohérentes). Les auteurs ont ainsi fait l’hypothèse que si des processus inférentiels sont requis pour le traitement du texte peu cohérent, alors les temps de lecture pour cette version devraient être plus longs comparés à ceux observés pour le texte cohérent. D’autre part, la différence de temps de lecture entre les deux versions devrait être plus importante pour les experts qui, du fait de leurs connaissances initiales, produisent plus facilement des inférences. Ces deux prédictions ont été confirmées. De plus, les résultats de cette expérience ont également montré que les experts avaient des performances plus importantes à la tâche de classification et à des questions ouvertes (qui étaient censées activer le modèle de situation comparées aux questions à choix multiples) à l’issue de la lecture de la version faiblement cohérente.

Ces données nous conduisent donc à faire l’hypothèse d’un effet de l’interaction entre les connaissances initiales des lecteurs, et la structure du texte scientifique (sur le neurone) sur l’apprentissage. La particularité de notre travail de recherche est de tester l’effet de la structure temporo-causale du texte (McNamara et collaborateurs ont testé l’effet de la cohérence référentielle du texte). Deux raisons ont justifié ce choix. D’une part, il nous semblait pertinent de manipuler ce type de cohérence textuelle, sachant que les rapports de causalité entre les faits relatifs à un domaine sont déterminants dans la compréhension de textes scientifiques. D’autre part, la structure temporo-causale du texte a été déterminée par l’analyse en système fonctionnel du domaine – le neurone, sur lequel porte le texte. Ainsi, nous pouvons supposer que les débutants du domaine devraient bénéficier davantage de la version du texte scientifique dont l’organisation respecte l’enchaînement temporo-causal des états et des événements du domaine (i.e., version structurée). En revanche, les experts du domaine devraient tirer davantage profit de la version dans laquelle les relations de causalité sont supprimées, et la séquentialité des informations perturbée (i.e., version non-structurée).