3.2. Effet d’un organisateur initial sur la compréhension et l’apprentissage à partir d’un texte subséquent

La deuxième expérience s’inscrit dans le cadre de travaux sur le rôle d’un organisateur initial dans la compréhension d’un texte subséquent par des sujets de différents niveaux d’expertise (e.g., Mannes & Kintsch, 1987 ; Mannes & Hoyes, 1996). Un organisateur initial peut être décrit comme un outil textuel situé avant un texte d’apprentissage, dont la fonction principale est de fournir des connaissances pertinentes pour l’interprétation et l’intégration des informations évoquées dans le texte d’apprentissage. Ainsi, il peut être considéré comme une aide à la construction du modèle de la situation évoquée dans le texte d’apprentissage.

Le but de cette expérience était double. D’une part, nous avons étudié la relation entre la nature sémantique des connaissances apportées par l’organisateur initial et celle des informations nouvelles évoquées dans le texte subséquent. Cette piste de recherche a émergé des résultats de la première expérience quant à l’effet différentiel des deux types de représentations, i.e., les états et les événements qui définissent la structure fonctionnelle du neurone, sur l’apprentissage à partir de textes chez des experts et des débutants. Les résultats ont montré que l’apprentissage de la structure fonctionnelle du neurone semble nécessiter la construction de la représentation mentale des états avant celle de la représentation des événements. Par ailleurs, l’analyse des performances à la tâche de classification de concepts a indiqué que les experts sélectionnent davantage de concepts relatifs à des états que de concepts relatifs à des événements pour représenter le fonctionnement du neurone. En revanche, les débutants semblent ne pas procéder à une sélection des concepts en fonction de leur catégorie sémantique. Pour interpréter ces résultats, nous avons postulé que les experts ont construit une représentation mentale encapsulée (Cf. Schmidt & Boshuizen, 1993) du fonctionnement du neurone, dans laquelle les concepts relatifs aux événements se regrouperaient autour des concepts relatifs aux états. L’accroissement de l’expertise dans le domaine qui réfère au neurone consisterait alors en la construction d’un réseau de connaissances dans lequel les états joueraient le rôle des concepts-noyaux à partir desquels les événements pourraient être intégrés. A partir de cette hypothèse, nous pouvons supposer que, pour les débutants, l’apport de connaissances sur les états du domaine par le biais d’un organisateur initial pourrait faciliter l’intégration des informations apportées par un texte d’apprentissage subséquent, et donc favoriser la construction d’un modèle de situation plus élaboré. En revanche, les experts devraient bénéficier davantage d’un organisateur initial qui fournit des connaissances sur les événements du domaine. Nous pouvons également supposer que les débutants profiteraient davantage d’une condition d’apprentissage dans laquelle la catégorie sémantique (états, événements) des connaissances de l’organisateur initial est identique à celle des informations du texte subséquent (condition de congruence). Par contre, les experts devraient tirer davantage profit du texte subséquent lorsque celui-ci comporte des informations dont la catégorie sémantique est différente de celle des connaissances de l’organisateur initial (condition de non-congruence). En effet, dans la condition de non-congruence, la compréhension du texte subséquent nécessite la mise à jour du modèle de situation formé durant la lecture de l’organisateur initial. La révision du modèle requiert la mise en oeuvre d’activités inférentielles qui ont un effet bénéfique sur l’apprentissage chez les experts (Cf. Kintsch, 1994 ; Mannes & Kintsch, 1987).

Le deuxième objectif était d’étudier l’effet des exigences de la tâche proposée aux lecteurs à l’issue de l’étude de l’organisateur initial, sur la compréhension du texte subséquent. Deux types d’épreuves ont été proposées aux lecteurs. Ils devaient réaliser soit un résumé, soit un schéma des informations centrales évoquées dans l’organisateur initial. D’après Graesser, Singer et Trabasso (1994), les exigences des tâches proposées aux lecteurs doivent être étudiées dans la mesure où elles déterminent les buts et les stratégies de compréhension qu’ils adoptent et donc les inférences qu’ils génèrent. Ainsi, nous pouvons supposer que la tâche de schéma qui se base sur le modèle mental de la situation évoquée dans l’organisateur initial, devrait inciter les lecteurs à se focaliser sur l’apprentissage à partir du texte subséquent, et par là-même à former une représentation situationnelle du texte plus élaborée. La tâche de résumé se base sur la représentation sémantique de l’organisateur initial ; elle devrait donc conduire les lecteurs à traiter plus ’superficiellement’ le texte subséquent, comparée à la tâche de schéma. D’autre part, l’effet des exigences de la tâche consécutive à l’étude de l’organisateur initial devrait être fonction des connaissances initiales des lecteurs. Les experts devraient bénéficier davantage d’une tâche qui les encourage à effectuer un traitement ’situationnel’ du texte subséquent (schéma), tandis que les débutants devraient profiter davantage d’une tâche qui les amène à se focaliser sur la mémorisation du texte subséquent (résumé).

Avant de décrire plus précisément cette expérience, nous allons présenter les travaux empiriques (e.g., Ausubel & Youssef, 1963 ; Mannes & Kintsch, 1985 ; Mannes & Hoyes, 1996 ; Mayer & Bromage, 1980) sur lesquels nous sommes appuyées pour élaborer nos hypothèses quant à l’effet de l’organisateur initial.