CHAPITRE 4
Apprentissage à partir d’un texte scientifique accompagné d’illustrations : Effet du niveau d’expertise initial des lecteurs, du type d’informations illustrées, et de la place des illustrations dans le déroulement de la lecture

Ce chapitre présente deux expériences que nous avons réalisées dans l’objectif d’étudier l’effet des illustrations analogiques (i.e., des schémas) sur l’apprentissage d’un domaine scientifique (le neurone) à partir de textes chez des experts et des débutants du domaine. Deux principales raisons ont motivé cette piste de recherche. D’une part, en consultant les ouvrages scientifiques et scolaires traitant du neurone, nous avons pu constater l’omniprésence des illustrations dont la fonction est d’expliquer la structure et le fonctionnement du neurone (i.e., illustrations analogiques). En conséquence, il nous semblait nécessaire de justifier au niveau expérimental, l’usage extensif des illustrations dans la représentation de ce domaine particulier. D’autre part, cette piste de recherche a émergé des résultats de la deuxième expérience, qui étaient relatifs à l’effet différentiel des deux types de tâches consécutives à la lecture de l’organisateur initial (i.e., résumé, schéma) sur le traitement du texte subséquent. Au même titre que le schéma effectué par le lecteur, nous supposons que les illustrations analogiques seraient des représentations (externes) de certains aspects du modèle de la situation décrite dans le texte, et qu’elles seraient par là-même bénéfiques à la construction (ou à la révision) de ce modèle. Pour élaborer cette hypothèse, nous nous sommes appuyées sur le modèle d’acquisition de connaissances à partir de textes et d’illustrations proposé par Schnotz (Schnotz & al., 2002) que nous présentons. Ce modèle s’oppose à la théorie du double codage de Paivio (1971, 1986) selon laquelle, au cours de la lecture d’un texte accompagné d’illustrations, les lecteurs formeraient deux modèles mentaux dont les formats seraient différents : un modèle basé sur le texte, stocké dans un format propositionnel ; un modèle basé sur les illustrations, stocké dans un format imagé. Pour Schnotz qui s’appuie sur le modèle théorique de compréhension de textes de van Dijk et Kintsch (1983), les informations textuelles et picturales s’intégreraient en une représentation propositionnelle unifiée : le modèle de situation. D’après le modèle de Schnotz (Schnotz & al., 2002), il serait plus rapide et plus facile de construire un modèle de situation à partir des informations picturales qu’à partir des informations textuelles. En effet, le modèle de situation peut être directement construit à partir de la représentation mentale visuelle du dispositif graphique perçu. En revanche, il est élaboré sur la base de la représentation sémantique du texte, laquelle doit être préalablement ’dérivée’ de la représentation de la structure de surface du texte.

En plus de notre objectif de rendre compte d’un effet bénéfique des illustrations analogiques dans la formation d’un modèle mental approprié du domaine du neurone, notre intention était également d’étudier l’influence de trois facteurs sur l’apprentissage à partir d’un texte scientifique illustré : [1] le niveau d’expertise initial des lecteurs dans le domaine (experts et débutants) ; [2] la catégorie sémantique (états versus événements) des informations illustrées du texte ; et [3] la place des illustrations dans le déroulement de la lecture (i.e., illustrations placées avant, en même temps, ou après leurs descriptions verbales). Ainsi, concernant l’effet des deux premiers facteurs, nous avons élaboré nos hypothèses sur la base des résultats de la deuxième expérience, qui étaient relatifs à leur interaction avec le type de tâche consécutive à la lecture de l’organisateur initial (i.e., résumé, schéma). D’une part, ces résultats ont montré que les experts tiraient davantage profit de la tâche de schéma (qui les incitait à réactiver leur modèle de situation), que la tâche de résumé, tandis que le pattern inverse a été observé pour les débutants. D’autre part, la représentation mentale des états du domaine semblait être plus précise dans la condition où les sujets ont réalisé le schéma après la lecture de l’organisateur initial que dans la condition ’résumé’. En revanche, l’inverse a été observé pour la représentation mentale des événements. Ainsi, ces résultats nous ont conduit à supposer qu’il serait préférable d’illustrer les états plutôt que les événements du domaine. Par ailleurs, pour les experts, les illustrations devraient être plus bénéfiques à la construction du modèle de situation qu’à celle de la représentation sémantique du texte scientifique. Par contre, l’inverse devrait être observé pour les débutants. Enfin, d’après les travaux empiriques de Dean et Enemoh (1983), et de Mayer et Anderson (1991, 1992), la fonction des illustrations diffère en fonction de la position qu’elles occupent dans le déroulement de la lecture. Placées avant leurs descriptions verbales, elles jouent le rôle d’organisateur initial de connaissances, et aident le lecteur à comprendre et à encoder les informations textuelles. Placées en même temps, elles représentent les informations textuelles en chaque point. Placées après leurs descriptions verbales, elles participent à la vérification et à la révision du modèle de situation élaboré à partir des informations textuelles. Dans les deux expériences que nous avons menées, nous nous sommes plus particulièrement intéressées à la relation entre les connaissances initiales des lecteurs et la disposition temporelle des illustrations dans la lecture. Précisément, nous avons supposé que les illustrations devraient être plus bénéfiques aux débutants qu’aux experts dans la condition où elles sont placées avant leurs correspondants textuels, tandis que l’inverse devrait être observé dans la condition où elles sont placées après leurs descriptions verbales. Enfin, les experts et les débutants devraient moins se différencier à l’issue de la lecture du texte scientifique dans lequel les illustrations sont présentées en même temps que les informations textuelles qui leur sont reliées. Pour tester ces hypothèses, nous avons construit deux versions illustrées d’un texte d’apprentissage sur le neurone : une version dans laquelle seules les phrases sur les états du domaine étaient accompagnées d’illustrations analogiques (schémas), et une version dans laquelle seules les phrases sur les événements étaient illustrées. Dans la troisième expérience, les informations textuelles et picturales étaient placées de façon contiguë dans le temps et dans l’espace. Dans la quatrième expérience, les illustrations étaient placées soit avant, soit après leurs descriptions verbales. Une tâche de reconnaissance amorcée (inspirée de celle proposée par van den Broek et Lorch, 1993), commune à ces deux expériences, permettait d’évaluer, au niveau situationnel, le degré d’intégration (incorporation versus compartimentalisation ; Potts & Peterson, 1985 ; Potts, St. John, & Kirson, 1989) des informations apportées par le texte d’apprentissage aux connaissances préalablement acquises à partir d’un organisateur initial.