4.1.2.a La théorie du double codage (Paivio, 1971, 1986)

À l’origine, la théorie du double codage a été proposée par Paivio (1971, 1986) pour donner une explication hypothétique aux effets bénéfiques de l’activité d’imagerie sur la mémoire verbale ainsi que pour rendre compte des comparaisons que l’on peut faire entre cette mémoire et celle d’un matériel constitué de dessins d’objets (Florès, 1987). Denis (1975) (évoqué par Florès, 1987) a ainsi observé dans le cadre d’une tâche de rappel d’une liste de mots, que les performances étaient plus importantes pour les sujets qui avaient reçu la consigne préalable d’élaborer une image mentale à propos de chaque objet désigné par les mots que pour ceux qui n’avaient pas reçu une telle consigne. D’autre part, Denis (1973) (évoqué par Florès, 1987) a montré que le rappel verbal de dessins d’objets était plus important que celui des noms correspondants, et que cette supériorité pouvait se prolonger pendant un délai de plusieurs semaines.

Pour expliquer les effets facilitateurs de l’activité d’imagerie sur la rétention du matériel verbal, Paivio (1971, 1986) a fait l’hypothèse selon laquelle deux sortes de systèmes interviendraient dans la mémorisation : le système de l’imagerie mentale (ou système imagé), basé sur une ’sémantique de la ressemblance’ (Denis & al., 1993) et lié à l’expérience perceptive de notre environnement, et le système verbal résultant de notre expérience du langage. La figure 16 ci-dessous illustre ce modèle :

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FIGURE 16. Le modèle à double codage proposé par Paivio (1971, 1986)

Dans le système imagé, les illustrations sont encodées de façon simultanée sous la forme d’imagènes (images mentales), organisées en termes de rapports ’parties-tout’. Dans le système verbal, les informations textuelles sont encodés séquentiellement sous la forme de logogènes (propositions) formant un réseau associatif et hiérarchique.

Ces deux systèmes de codage fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, car chacun peut être actif sans que l’autre le soit. Ainsi, par l’intermédiaire de connexions représentationnelles, la perception d’objets ou de dessins d’objets active le système imagé, la perception de mots le système verbal. Cette activation s’effectue de façon quasi-automatique pour les matériels figuratifs, alors que tel n’est pas nécessairement le cas pour des matériels verbaux (Florès, 1987).

Comme le montre la figure 16, bien que séparés, les deux systèmes sont reliés par des connexions référentielles. Ils peuvent donc fonctionner en liaison : le dessin d’un objet peut, par l’intermédiaire du système d’imagerie, activer les processus verbaux ce qui a pour conséquence la traduction verbale de l’objet illustré. La verbalisation des matériels figuratifs aurait lieu, même si elle n’est pas demandée ni suggérée par les conditions de la tâche. Ainsi, Florès (1987) souligne qu’aucune différence remarquable n’a été constatée entre le rappel de dessins d’objets qui ont été présentés accompagnés de leur nom et le rappel de ces mêmes dessins présentés seuls. Réciproquement, le langage peut déclencher une activité d’imagerie, comme c’est le cas pour les mots concrets dont la valeur d’imagerie est plus importante que celle pour les mots abstraits (Denis, 1975). Le double codage surviendrait toutefois de façon moins fréquente dans l’acte de mémorisation lorsqu’il s’agit de matériels verbaux (Florès, 1987).

D’après le modèle du double codage, la supériorité de rappel verbal observée pour les dessins d’objets serait donc due au fait que les deux systèmes (verbal et imagé) coderaient ensemble ces informations. Les dessins d’objets seraient traités à la fois dans leurs aspects figuratifs et dans leurs aspects verbaux. Ainsi, lors de la récupération en mémoire, les sujets disposeraient de deux traces mnésiques au lieu d’une. Plusieurs faits expérimentaux se sont avérés compatibles avec la théorie du double codage. Fraisse (1970) (évoqué par Florès, 1987) a fait l’hypothèse selon laquelle le processus de double codage (verbal et imagé) devrait se caractériser par un temps d’élaboration plus long qu’un processus de simple codage (verbal ou imagé). Il a ainsi montré que le temps de dénomination de dessins d’objets était plus long que le temps de lecture des mots désignant ces objets. Ceci se justifiait par le fait que pendant la lecture des mots, seul le système verbal était sollicité, tandis que la dénomination des dessins exigeait l’activation du système verbal à partir du fonctionnement préalable du système imagé. Paivio et Csapo (1971) ont par ailleurs, montré que le double codage pouvait être rendu impossible lorsque les stimuli à mémoriser étaient présentés de façon accélérée : les objets ou dessins d’objets étaient identifiés sans pouvoir être verbalisés ; les mots étaient lus, mais ne pouvaient pas induire d’activités d’imagerie. Dans ces situations où le temps de traitement des stimuli a été diminué et où un seul codage était en jeu, le matériel figuratif n’était pas mieux mémorisé que le matériel verbal.