La place des illustrations dans le déroulement de la lecture

La fonction des illustrations diffère en fonction de la place qu’elles occupent dans le déroulement de la lecture (illustrations placées avant, en même temps ou après leur description verbale) :

Plusieurs chercheurs (Dean & Enemoh, 1983 ; Mayer & Anderson, 1991, 1992) se sont ainsi interrogées sur le type d’agencement temporel entre l’illustration et la description verbale qui pouvait correspondre le mieux aux impératifs ergonomiques en lecture. Dans l’expérience de Dean et Enemoh (1983), l’ordre de présentation du texte sur les méandres et de la photo qui lui était reliée variait : soit la photo précédait le texte, soit elle le succédait. Les résultats ont montré que les sujets qui ont lu le texte après avoir étudié la photo avaient des performances de rappel supérieures à celles des sujets qui ont vu la photo après le texte. L’illustration serait donc d’autant plus efficace qu’elle fournit un cadre de connaissances à partir duquel les informations du texte peuvent être instanciées. En revanche, l’illustration serait moins bénéfice lorsqu’elle est placée après car, selon Bétrancourt (1996), cette condition n’inciterait pas les lecteurs à porter leur attention sur l’illustration.

A l’inverse de Dean et Enemoh (1983), Mayer et Anderson (1991, 1992) considèrent que les sujets bénéficient davantage d’un document ’multimédia’ dans lequel les illustrations et leurs explications verbales sont présentées de façon contiguë (et non isolées les unes des autres) dans le temps ou l’espace. Cet argument repose sur la théorie du double codage (Paivio, 1971, 1986) selon laquelle la compréhension d’un document ’multimédia’ nécessite la construction de liens référentiels entre le modèle mental basé sur le texte et celui basé sur les illustrations. Pour que de tels liens puissent être construits, le sujet doit pouvoir maintenir ces deux modèles mentaux simultanément en mémoire de travail (celui basé sur le texte dans la boucle phonologique et celui basé sur les illustrations dans le calepin visuo-spatial). Etant donné les capacités limitées de la mémoire de travail, la tâche du sujet serait moins coûteuse lorsque les informations textuelles et figuratives sont présentées en même temps (Mayer & al., 1999). Pour tester l’hypothèse relative au principe de contiguïté, Mayer et Anderson (1992) ont comparé cinq conditions : [1] animation et explication concurrentes, [2] animation et explication successives, [3] animation seule, [4] explication seule, [5] sans explication (contrôle). Au rappel, les plus faibles performances ont été obtenues par le groupe ’contrôle’. A la résolution d’inférences, les meilleurs scores ont été obtenus par le groupe ’concurrent’, tandis que les autres groupes ne différaient pas les uns des autres. Les auteurs ont conclu que lorsque l’animation et l’explication ne sont pas présentées simultanément dans le temps, les lecteurs ne peuvent pas construire de liens référentiels ce qui explique pourquoi ils apprennent aussi peu que ceux qui n’ont reçu aucune explication.

Tout comme les précédents auteurs, nous supposons également que l’intégration en une représentation unifiée d’informations issues de deux sources différentes est un processus qui mobilise de nombreuses ressources cognitives. Nous sommes donc en accord avec l’idée selon laquelle la présentation simultanée (dans le temps et l’espace) des deux sources (informations verbales et illustrations) permet de réduire la charge en mémoire. Dans les troisième et quatrième expériences, nous nous sommes centrées plus particulièrement sur l’effet de la relation entre le niveau d’expertise initial des lecteurs et la disposition temporelle des illustrations dans le texte, puisque cette relation n’a pas fait l’objet de recherches antérieures. Ainsi, nous faisons l’hypothèse selon laquelle les experts et les débutants devraient moins se différencier à l’issue de la lecture d’un texte dans lequel les illustrations sont présentées en même temps que leurs descriptions verbales. Les illustrations devraient être plus bénéfiques aux débutants qu’aux experts lorsqu’elles sont placées avant les informations verbales qui leur sont reliées, tandis que l’inverse devrait être observé dans la condition où les illustrations sont présentées après leurs correspondants textuels. Placées avant les informations textuelles, les illustrations apporteraient aux débutants des connaissances pertinentes pour la compréhension du contenu sémantique. Placées après les informations textuelles, elles encourageraient les experts à effectuer un traitement plus actif (’situationnel’) des informations à acquérir.