4.2.6. Discussion

Notre premier but était d’étudier l’effet des illustrations analogiques (schémas) sur la compréhension et l’apprentissage à partir d’un texte scientifique. Nos résultats mettent en évidence un effet des illustrations au cours de la lecture. Précisément, la présence des illustrations dans le texte d’apprentissage entraîne une augmentation des temps de lecture de ce texte. Par conséquent, l’intégration des informations textuelles et picturales en un modèle mental unifié est un processus qui semble mobiliser de nombreuses ressources cognitives (Schnotz & al., 2002). De plus, conformément à nos hypothèses, l’effet des illustrations est fonction à la fois des connaissances initiales des lecteurs et de la catégorie sémantique des informations illustrées du texte. Premièrement, les résultats montrent que la différence de temps de lecture entre les versions illustrée et non-illustrée du texte d’apprentissage tend à être plus importante pour les experts que pour les débutants. Ainsi, la présence d’illustrations dans le texte semble encourager les experts à s’engager dans un traitement plus actif du texte. En revanche, comparés aux experts, les débutants semblent avoir tendance à ’sous-estimer’ la quantité de temps qui est nécessaire à l’intégration des informations textuelles et picturales. Deux interprétations de ce résultat sont possibles. Soit les débutants n’ont pas les connaissances requises pour reconnaître l’utilité des illustrations (Gyselinck & Tardieu, 1999), soit ils ne prennent pas en compte les illustrations qui constituent pour eux une source moins familière d’informations (Bétrancourt, 1996), et ce dans l’objectif de limiter la charge cognitive en mémoire de travail.

Deuxièmement, les résultats montrent d’une part, que les illustrations référant à des états entraînent une augmentation des temps de lecture du texte d’apprentissage plus importante comparés aux illustrations référant à des événements. D’autre part, les lecteurs qui ont lu la version avec les états illustrés semblent accéder moins rapidement à l’information en mémoire que ceux qui ont lu la version avec les événements illustrés (ces derniers ne se différenciant pas de ceux qui ont lu le texte seul). Ainsi, conformément à nos attentes, les illustrations semblent avoir une influence plus importante sur le traitement et la représentation du texte lorsqu’elles représentent des états plutôt que des événements. En l’occurrence, il semblerait que les illustrations d’états incitent davantage les lecteurs à produire des inférences aussi bien durant la lecture qu’à l’issue de cette lecture, ce qui expliquerait le fait que leur représentation mnésique soit moins rapidement accessible. Enfin, alors que nous ne l’avions pas explicitement supposé, nous observons une interaction entre la catégorie des informations illustrées et les connaissances initiales des lecteurs. En effet, les résultats à la tâche de reconnaissance amorcée montrent que les débutants qui ont étudié la version avec les états illustrés mettent plus de temps à accéder à l’information en mémoire que ceux qui ont étudié la version avec les événements illustrés, tandis que le pattern inverse est obtenu pour les experts. Ainsi, alors que les illustrations qui réfèrent à des états semblent exercer une influence importante sur les processus de compréhension mis en oeuvre par les débutants, les experts semblent s’investir dans un traitement plus actif du texte lorsque celui-ci comporte des illustrations qui réfèrent à des événements.

Cette expérience fournit également des éléments supplémentaires quant à l’effet de la catégorie sémantique des informations sur le traitement et l’apprentissage à partir d’un texte. Conformément à ce que nous avons observé dans nos précédentes expériences, les résultats mettent en évidence un traitement différencié des informations relatives aux états et aux événements du domaine. Il apparaît toutefois que ce traitement différencié varie en fonction de la phase d’apprentissage. Ainsi, au cours de la lecture de l’organisateur initial, les sujets traitent plus rapidement les états que les événements. A l’issue de la première lecture, les résultats à l’épreuve de vérification des inférences montrent que les sujets se représentent mieux les états que les événements au niveau situationnel. Au cours de la lecture du texte d’apprentissage, les sujets se focalisent davantage sur les états que sur les événements. A l’issue de la seconde lecture, les résultats observés à la tâche de reconnaissance amorcée montrent que les sujets accèdent plus rapidement à la représentation des événements qu’à celle des états. Ainsi, nous pouvons supposer que, durant la première phase d’apprentissage, les lecteurs construisent un modèle mental du domaine sur la base des informations relatives aux états, ces dernières leur étant plus faciles à traiter et peut-être plus familières. Durant la seconde phase d’apprentissage, pour mettre à jour leur modèle initial, les lecteurs semblent avoir pour stratégie de se centrer sur les informations relatives aux états qui forment les points d’ancrage de leur modèle initial et à partir desquelles les informations relatives aux événements pourront être plus facilement intégrées. La difficulté d’accéder rapidement aux informations relatives aux états pourrait ainsi s’expliquer par le fait qu’elles formeraient des noeuds de la représentation en réseau du domaine à partir desquels partiraient de nombreuses connexions.

Notre second but était d’étudier le degré d’intégration des informations nouvelles en mémoire à long-terme (incorporation versus compartimentalisation). Ainsi, conformément à notre hypothèse, les résultats à la tâche de reconnaissance amorcée montrent que le degré d’intégration en mémoire est fonction de la catégorie sémantique des informations évoquées. Précisément, l’analyse effectuée sur les temps de réaction montre que les informations sur les états semblent être plus fortement reliées aux connaissances initiales (acquises à partir de l’organisateur initial) qu’elles ne le sont à la représentation du texte d’apprentissage, tandis que l’inverse est obtenu pour les informations sur les événements. Toutefois, ces résultats sont difficiles à interpréter à la lumière de ce qui a été observé dans l’analyse effectuée sur les réponses correctes. En effet, les lecteurs semblent mieux reconnaître les informations sur les états lorsqu’ils se basent sur la représentation du texte d’apprentissage plutôt que sur celle de l’organisateur initial, tandis que le pattern inverse est obtenu pour les informations sur les événements. Par conséquent, si la stratégie de recouvrement en mémoire semble être déterminée par la catégorie sémantique des informations à récupérer, elle ne semble pas être fonction de leur degré d’intégration en mémoire.

Enfin, cette expérience apporte des informations supplémentaires quant à l’effet des exigences de la tâche réalisée à l’issue de la lecture de l’organisateur initial. Premièrement, alors que les exigences de la tâche proposée immédiatement après l’étude de l’organisateur initial ne semblent pas influencer la construction du modèle de situation initial, elles semblent déterminer les stratégies que les lecteurs mettent en oeuvre dès le cours de la seconde lecture pour mettre à jour le modèle. Ainsi, conformément à ce qui a été observé dans la précédente expérience, l’analyse des temps de lecture du texte d’apprentissage montre que les exigences de la tâche influencent principalement le traitement des informations sur les événements, et que cet effet varie en fonction des connaissances initiales des lecteurs. Plus précisément, les experts semblent traiter plus rapidement les informations relatives aux événements lorsqu’ils ont, au préalable, effectué une tâche qui se base sur le modèle de situation plutôt que sur la représentation sémantique de l’organisateur initial. En revanche, l’inverse est observé pour les débutants. Ainsi, il apparaît d’une part, que les exigences de la tâche déterminent les stratégies mises en oeuvre pour traiter les informations qui semblent être les plus difficiles à représenter (ou les moins familières) (en l’occurrence, les informations sur les événements). D’autre part, les experts semblent bénéficier d’une tâche qui les incite à activer leur modèle de situation et donc à s’investir davantage dans des activités inférentielles. En revanche, les débutants tirent davantage profit d’une tâche qui les conduit à construire une représentation initiale du domaine de nature sémantique. Les résultats à la tâche de reconnaissance amorcée montrent également que les exigences de la tâche proposée à l’issue de la première phase d’apprentissage ont une influence sur la qualité de la représentation à l’issue de la seconde phase d’apprentissage. Plus précisément, il semble que la représentation sémantique du texte d’apprentissage (évaluée par la tâche de reconnaissance) soit plus précise pour les sujets qui ont réalisé une tâche qui se base sur la représentation sémantique de l’organisateur initial (résumé) que pour ceux qui ont réalisé une tâche qui se base sur le modèle de situation (schéma). Si nous nous référons aux travaux effectués par Mannes et Kintsch (1985), nous pouvons expliquer ce résultat en supposant que la précision de la représentation sémantique du texte d’apprentissage ait été favorisée par la construction d’une représentation initiale du domaine de même nature (i.e., descriptive) (effet de congruence structurale).