CONTRIBUTION A LA GESTION DE LA REMÉDIATION AUX SITUATIONS D’ILLETTRISME EN ENTREPRISE
CAS D’EXPERIMENTATION
Thèse pour le Doctorat
Sciences de Gestion
Université Lumière Lyon 2
Le 16 décembre 2002
Monsieur Marc BONNET, Professeur de Sciences de Gestion
Université Lumière Lyon 2
Directeur de la recherche
Monsieur Henri SAVALL, Professeur de Sciences de Gestion
Université Lumière Lyon 2
Président du jury
Madame Géraldine SCHMIDT, Professeur de Sciences de Gestion
Université Paris I - Panthéon – Sorbonne
Rapporteur
Monsieur Frédéric WACHEUX, Professeur de Sciences de Gestion
Université Paris IX – Dauphine
Rapporteur
Madame Marie-Thérèse GEFFROY, Directrice
Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme
Suffragant

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier le Professeur Marc BONNET, directeur de notre recherche, pour nous avoir conseillé, accompagné et encouragé dans la réalisation de nos travaux. Nous lui sommes particulièrement reconnaissant de nous avoir associé à ses travaux sur la gestion de l’illettrisme en entreprise, de nous avoir donné l’opportunité de nous intégrer parmi son réseau de contacts et de nous avoir transmis ses connaissances et son expérience dans le domaine de la remédiation à l’illettrisme. Nous tenons également à le remercier pour sa gentillesse et son humanisme, qualités qui ont contribué au bon déroulement de ces quatre années de recherche.

Nous remercions le Professeur Henri SAVALL, Directeur de l’ISEOR, pour nous avoir fait confiance dans notre dernière année de chercheur solitaire. Nous souhaitons également le remercier pour tous les moyens logistiques qu’il a mis à notre disposition pour nous aider dans la réalisation de notre travail de recherche. Nous lui sommes enfin très reconnaissant de nous avoir transmis sa passion pour la recherche-intervention et pour nous avoir transféré, à l’occasion de très nombreuses réunions de travail, des méthodes, des outils et des techniques de recherche très pragmatiques et très utiles pour la construction, la structuration et la présentation de nos connaissances d’intention scientifique.

Nous remercions le Professeur Géraldine SCHMIDT pour l’honneur qu’elle nous fait de participer à notre jury de soutenance et d’en assumer la tâche de rapporteur. Nous espérons que cette recherche pourra s’enrichir de ses recherches en gestion des ressources humaines et en particulier au travers de ses travaux sur la gestion des sureffectifs et des suppressions d’emploi, sur l’évaluation des compétences, et sur les logiques d’action des entreprises à l’égard de l’âge.

Nous sommes très reconnaissant à Monsieur le Professeur Frédéric WACHEUX pour nous faire l’honneur d’être rapporteur de cette thèse et pour avoir accepté de siéger à notre jury. Nous le remercions particulièrement pour nous avoir, indirectement, guidé dans nos travaux pour mener à bien notre recherche qualitative, pour nous avoir donné des idées qui ont contribué à recentrer l’objet de notre recherche lors de notre première année de thèse et enfin, pour nous avoir éclairé sur les stratégies de partenariat.

Nous remercions Madame Marie-Thérèse GEFFROY pour avoir accepté d’apporter son point de vue et son expertise en matière de lutte contre l’illettrisme au sein de notre jury.

Nous remercions profondément Madame le Professeur Véronique ZARDET pour sa rigueur et son exigence à l’occasion de nos travaux sur la construction d’un plan détaillé et Madame Isabelle BARTH pour sa disponibilité et ses fructueux conseils à l’occasion de la construction de notre corps d’hypothèses.

Merci à toutes les personnes du réseau illettrisme sans qui cette recherche n’aurait pas pu aboutir aux résultats qu’elle présente. Nous pensons en particulier à Madame Véronique ESPERANDIEU et à Madame Annie SIONNEAU, à Monsieur Khaled ABICHOU, à Madame Valérie BRUNETEAU, à Madame Marie-Christine COLIN, à Madame Roseline COMBROUX, à Madame Véronique EBERLE, à Monsieur Jean-Philippe ROQUELLE, à Madame Amy TARDRES et à Madame Maryse VINCENT.

Merci également à toutes les personnes des entreprises-terrains de nos recherches-interventions pour nous avoir consacré du temps parfois précieux.

En tant qu’intervenant-chercheur de l’équipe de l’ISEOR pendant trois ans, nous tenons à remercier cordialement toute l’équipe de l’ISEOR pour ses apports théoriques, méthodologiques et empiriques.

La qualité de nos données de terrain n’aurait pu être assurée sans la contribution de Vincent CRISTALLINI à la remédiation à notre « illettrisme relatif » en matière de collecte, d’exploitation et d’analyse de matériaux de terrain. Nous le remercions pour nous avoir enseigné la rigueur et le « professionnalisme ». Nous associons également à cette quête de la qualité les apports et conseils de Olivier VOYANT, Nathalie KRIEF, Laurent CAPPELLETTI et Miguel DELATTRE.

Nous remercions également Florence NOGUERA pour son soutien durant notre dernière année de recherche ainsi que pour ses apports de matériaux bibliographiques et Leïla ABDEL ADIM pour sa disponibilité.

Nous souhaitons remercier spécialement Benjamin DEMISSY et Karine RYMEYKO pour l’émulation positive qu’ils ont pu créer chez nous dans la période des finitions de notre travail de recherche.

Enfin, nous remercions tous nos proches pour leur soutien stimulant et leur patience, et plus particulièrement notre épouse pour avoir assumé la lourde tâche de relecteur et pour nous avoir encouragé durant ces quatre années de recherche.

RESUME

(1846 CARACTERES)

La gestion de la remédiation à l’illettrisme en entreprise peut-elle être considérée comme source d’avantages compétitifs pour les entreprises et organisations ? Quelles sont les conditions de performance économique et sociale des actions de remédiation aux situations d’illettrisme ? Cette thèse propose de répondre à ces questions.

A partir d’une analyse des situations d’illettrisme et des raisons de la montée de ces situations dans l’emploi, cette recherche apporte un éclairage sur l’approche psychologique, sociologique et gestionnaire du phénomène d’illettrisme en mettant l’accent sur les stratégies de contournement du problème. L’analyse des lacunes des dispositifs de formation classique, de la non-action face à ce phénomène ou de son externalisation, au travers de l’analyse des résultats de cinq recherches-interventions et de cinq études de cas, conduit à révéler l’intérêt économique et social d’une gestion intégrée de l’illettrisme en entreprise.

A partir des résultats de ces recherches de terrain et de l’hypothèse que les performances des entreprises sont atrophiées par leur illettrisme relatif en termes de management des compétences et des connaissances, cette thèse propose, dans une deuxième partie, une logique d’intervention interne et externe pour faciliter le maintien dans l’emploi des salariés en situation d’illettrisme. Cette partie s’intéresse à l’ingénierie, au contenu, à l’organisation et à l’évaluation de cette double logique dans les entreprises et organisations pour mettre en avant les gains potentiels issus de la lutte contre l’illettrisme et leur condition d’obtention. Cette thèse s’efforce donc de répondre au phénomène d’illettrisme en proposant une logique d’action à dimension organisationnelle qui intègre les besoins individuels, collectifs et environnementaux des entreprises et organisations.

MOTS CLES

Summary

(1996 CARACTERES)

RETRAINING IN BASIC SKILLS AND OVERCOMING DYSFUNCTIONS DUE TO ILLETERACY IN ORGANIZATIONS. EVALUATION OF INTERVENTION-RESEARCH CARRIED OUT IN A VARIETY OF ENTERPRISES

Could we consider that solutions to upgrade the skills of employees lacking 3RS’ (Reading, wRiting, aRithmetics) be considered as a source of competitive advantage for the companies and organizations? What are the conditions for economic and social performance of those preventive actions ? This dissertation proposes to address this issue.

Based on the hypothesis that performance of enterprises is hindered by poor knowledge management within the companies and that illeteracy tends to create many dysfunctions, the first part presents an analysis of basic skills in literacy. It draws the attention on psychological, sociological and managerial factors of the illeteracy phenomenon while enhancing the strategies of the actors within organization to conceal the probem, as if it were a taboo. This thesis strives to analyse the dysfunctions costs through five intervention-research processes. The analysis of the flaws of traditional forms of training methods, the hidden costs of non –action to cope with this phenomenon or of making redundant these low skilled workers brings evidence of the possible performance of preventive actions.

Based on those results as well as in five other case studies of enterprises which have undertaken successful actions, this thesis proposes, in a second part, an internal and external intervention cooperation to foster the sustainability of the actions aimed at enhancing the skills of illeterate employees. It deals of engineering, contents and organisation of retraining schemes in the companies and organizations in order to enhance the potential gains stemming from such actions. Our approach to fix illeteracy dysfunctions depends on the willingness of enterprises to learn how to cope with it, either alone or through cooperation with partners. This thesis proposes a course of action that consists of a remedy to illeteracy, integrating the efforts of individual actors, collective actors and actors in the environment of companies and organizations.

RESUME

La question centrale de notre recherche est de savoir dans quelle mesure les entreprises et organisations peuvent avoir intérêt à requalifier en permanence et à faire évoluer les compétences des salariés les plus en difficultés face aux connaissances de base.

Cette question est décomposée en plusieurs interrogations :

La première partie de notre recherche présente le phénomène d’illettrisme en entreprise, sa complexité, ses manifestations et les raisons de la montée de ce phénomène dans l’emploi. Notre argumentation est en partie construite à partir d’une analyse de la littérature théorique, de l’analyse de documents institutionnels et de nos observations de terrain. Nos travaux sont ensuite concentrés sur la justification de l’importance du problème d’illettrisme par l’analyse de données primaires issues de recherches-interventions. Les dysfonctionnements et les coûts cachés qui en découlent nous permettent de montrer que la présence de situations d’illettrisme dans l’entreprise ont des effets négatifs à la fois sur des plans qualitatifs, quantitatifs et financiers et sur des niveaux individuels et collectifs. Les menaces, les pertes de potentiel, les impacts sur la productivité et sur la qualité dans une perspective intra-organisationnelle, puis les effets externes négatifs des solutions d’évitement du problème d’illettrisme nous conduisent à conclure à la nécessité d’aborder la gestion des situations d’illettrisme au travers d’une réflexion pluridisciplinaire, tout en l’abordant avec un regard gestionnaire.

Ainsi, le premier chapitre souligne la particularité du phénomène d’illettrisme. Il recouvre en effet plusieurs aspects car il est difficilement mesurable et apparaît comme un problème historiquement daté. Cette présentation est ensuite contextualisée dans le cadre du monde du travail pour souligner les caractéristiques et les facteurs de l’érosion des connaissances et des compétences qui touchent les salariés illettrés. Cette érosion, conjuguée à la complexité du phénomène d’illettrisme et au cumul des « handicaps », nous amène à présenter le caractère régressif des situations de travail des salariés jugés « faiblement adaptables ». Nous évoquons les raisons de notre intérêt pour un tel sujet de recherche en exposant les caractéristiques de la montée en exigence des compétences et de la croissance des situations d’illettrisme et d’illettrisme relatif. Parmi elles, l’importance du recours à l’écrit, l’abstraction des situations de travail, l’évolution du contenu des emplois, l’inégalité des chances face à la formation et la tendance naturelle de tous les acteurs de l’entreprise à contourner le problème, retiennent particulièrement notre attention.

Les deuxième et troisième chapitres sont consacrés à la recherche-intervention et à la présentation de nos données de terrain. Nous exposons en particulier les raisons du choix d’une recherche transformative sur le terrain et de la collecte de cas, en expliquant les modalités de l’analyse des données primaires et secondaires. Les résultats issus de l’analyse de ces données nous permettent de justifier certaines hypothèses descriptives et explicatives que nous avons formulées à partir d’une sélection de phrases-témoins et de coûts cachés liés directement ou indirectement au problème d’illettrisme (figure ci-dessous). Au niveau des coûts cachés, nous mettons en particulier en évidence que les situations d’illettrisme génèrent de nombreuses pertes de temps. Elles se manifestent par des erreurs de production ou des opérations à refaire, mais aussi par des surtemps en recherches d’informations et par des glissements de fonction.

Le quatrième chapitre met quant à lui en exergue les coûts de la non-action ou d’une action inappropriée de remédiation à l’illettrisme. Un des premiers enseignements retirés de l’étude de ces coûts est que l’illettrisme des salariés peut être en partie imputé à l’illettrisme relatif de l’entreprise en terme de management des connaissances et des compétences. Cet illettrisme relatif se manifeste souvent par une découverte trop tardive du phénomène par l’entreprise, qui décide alors souvent d’externaliser le problème. Nous montrons cependant que la rationalité limitée de l’entreprise quant à ses capacités de survie et de développement et son manque d’information sur son réel niveau de performance économique et sociale peut, par « effet boomerang », annihiler les gains immédiats retirés d’une solution d’externalisation. Nous qualifions ces effets induits de « retour sur licenciement » pour montrer l’intérêt économique et financier d’une véritable gestion interne et externe du phénomène d’illettrisme, en considérant les actions de formation comme de réels investissements.

Cette première partie permet de montrer, dans les cas étudiés, que les entreprises se retrouvent dépourvues de méthodes et d’outils pour gérer de manière optimale leur capital de compétences. Ces difficultés se manifestent par des décisions souvent extrêmes, qui tendent à des déperditions d’énergie du fait de leurs coûts directs et indirects. De plus, nous soulignons l’importance de l’investissement immatériel en montrant que sans effort de formation, il est quasiment illusoire de vouloir mettre en œuvre une stratégie d’entreprise innovante et tournée vers l’avenir.

La deuxième partie est construite autour de la conception de l’entreprise comme un lieu de stimulation des apprentissages individuels et collectifs, internes et externes, qui favorise la mise en commun des compétences et des connaissances en matière de remédiation à l’illettrisme.

Après avoir rappelé les principales caractéristiques de la notion de formation intégrée, dont l’utilisation de la régulation et de la prévention des dysfonctionnements comme base de travail, la coopération et l’accomplissement de la formation dans la mise en œuvre des connaissances acquises, le chapitre 5 est consacré à une logique d’action de formation interne : les actions de formation intégrée. Nous mettons en évidence plusieurs étapes indispensables à la phase d’ingénierie de cette action : la programmation de l’action, le repérage des besoins et des problèmes à traiter, en particulier au travers des diagnostics socio-économiques et des grilles de compétences, l’implication de l’encadrement direct dans la formulation des objectifs et la conception des modules de formation, la construction d’un manuel de formation intégrée, et enfin l’organisation de la prise de décision et de la concertation par la mise en place de dispositifs de communication. Ces étapes ont pour principal objectif de permettre l’intégration de l’action de formation dans le projet global de l’entreprise en impliquant l’ensemble des acteurs. Nous soulignons ainsi que les actions de formation intégrée peuvent être performantes seulement dans le cas où elles sont réalisées à partir d’un projet élaboré de façon participative par tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise.

Le principe sous-jacent à cette nécessité est que tout apprentissage paraît vain si son transfert sur les postes de travail n’est pas anticipé et organisé. Nous montrons également que les actions de formation intégrée de lutte contre l’illettrisme mobilisent tous les savoirs de l’entreprise, et notamment les savoirs tacites, explicites ou enfouis. Dans ce cadre, l’action de formation intégrée apparaît comme une opportunité pour capitaliser et mémoriser les connaissances, compétences et savoir-faire généralement diffus et non formalisés. Plusieurs avantages découlent de cette logique de remédiation à l’illettrisme par la formation intégrée : le traitement des dysfonctionnements qui perturbent le fonctionnement quotidien des organisations, le relèvement des compétences par palier en jouant sur une dynamique de requalification à un niveau collectif et sur une dynamique de réduction des « handicaps » sur un plan plus individuel, la diminution des glissements de fonction et la revalorisation conjointe des salariés formés et des membres de l’encadrement direct, et enfin la création d’une remise en confiance des salariés. Le principal enseignement de ce chapitre est assez paradoxal. Il indique que l’on peut mettre en œuvre des actions de formation intégrée de remédiation à l’illettrisme en ne faisant jamais référence à l’illettrisme de façon explicite. Il est même possible que « l’action de formation intégrée de lutte contre l’illettrisme » ne donne pas lieu à une formation classique dans les connaissances de base. Cependant, et c’est l’intérêt de la logique de formation intégrée, la lutte contre l’illettrisme ne nous paraît possible que si, préalablement, les salariés sont confortés dans leur emploi, s’ils retrouvent le goût d’apprendre, s’ils jugent que la formation pourra leur être utile sur leur poste de travail, s’ils jugent que la formation sera bien perçue par leur employeur et par leur responsable direct et enfin si la remise à niveau s’inscrit dans la continuité d’une action globale. Les exemples de plusieurs entreprises de notre échantillon témoignent de la légitimité de ces conditions. Ainsi, la lutte contre l’illettrisme en entreprise est efficace si elle ne s’attache pas à répondre en priorité aux besoins précis des illettrés en matière de connaissances de base, mais répond plutôt à des besoins collectifs utiles au développement de l’organisation.

Le chapitre 6 a pour objectif de positionner la logique de la démarche de formation intégrée avec des théories mettant en avant le caractère stratégique de la gestion des ressources humaines, position à laquelle nous adhérons. Après avoir exposé le fait que la création de potentiel est aussi importante pour l’entreprise que toute autre investissement, nous concluons que la gestion des ressources humaines s’inscrit pleinement dans le processus de décision stratégique. Puis nous cherchons à démontrer la dimension stratégique de la gestion des situations d’illettrisme en arguant qu’une logique de développement des compétences et des connaissances interne à l’entreprise peut s’apparenter à une source fondamentale de la construction d’un avantage concurrentiel durable. Mais la simple évocation d’une volonté d’avoir une approche stratégique des ressources humaines, qui nécessite d’être organisée, planifiée et instrumentée par des outils structurants et stimulants, ne suffit pas à franchir le cap de l’action. Le besoin d’aborder les modèles de l’apprentissage organisationnel et de l’entreprise apprenante pour rentrer dans le processus de mise en œuvre d’une telle politique se fait ainsi ressentir. L’analyse et la comparaison de ces deux modèles avec la logique de formation intégrée, nous amènent à faire plusieurs constats. Il apparaît que les caractéristiques des actions de formation permettent de répondre en partie aux blocages qui limitent la mise en place d’un apprentissage organisationnel.

Il semble que la logique de formation intégrée permet, d’une part, de générer un processus de création, d’enrichissement, de capitalisation et de diffusion des savoirs qui implique tous les acteurs de l’organisation. Elle s’attache, par le biais de la construction de supports de formation par l’encadrement, à capturer, créer et faire partager les connaissances par tous les acteurs et finalement à créer les conditions de leur application. Elle incite d’autre part, au travers de l’analyse des coûts cachés, les entreprises à désapprendre ce qui n’est plus valable. Cette logique permet également de répondre aux questions du lien et du passage entre l’apprentissage individuel et collectif par la formalisation, la capitalisation et la mutualisation des connaissances et compétences et par les dispositifs collectifs de pilotage de l’action.

Dans le cadre des actions de formation intégrée, deux temps sont ainsi distingués. D’abord une optique cognitiviste où les tuteurs-formateurs se basent sur les dysfonctionnements pour étudier leur origine, leurs manifestations et la manière dont ils peuvent être régulés. Cette première optique a pour objectif de montrer l’utilité de la formation en apportant des réponses aux problèmes quotidiens des apprenants. Dans un second temps, la formation intégrée est réalisée au travers d’une approche behavioriste. L’objectif des formateurs est de permettre aux salariés formés de mettre en pratique les nouvelles compétences acquises et de prendre de nouvelles responsabilités en organisant la délégation d’activités. Dans cette configuration, l’action de formation intégrée permet non seulement aux salariés, mais aussi à l’encadrement de progresser. Enfin, ce chapitre s’intéresse à l’entreprise apprenante et à ses liens avec la logique de formation intégrée. Le principal résultat issu de cette analyse comparée est que la démarche de formation intégrée, comme celle de l’organisation apprenante, renvoie aux processus collectifs de développement, de diffusion et d’assimilation des connaissances et des savoir-faire dans l’entreprise. La formation intégrée semble ainsi favoriser le transfert, dans le fonctionnement normal de l’organisation, des savoir-faire pratiques déployés quasi-clandestinement par les salariés. Ce chapitre 6 qui a pour objectif de positionner la démarche de formation intégrée nous permet finalement, au travers de l’étude des points de convergence avec l’apprentissage organisationnel et l’entreprise apprenante, de préciser en quoi cette démarche peut être utile et adaptée à la gestion de l’illettrisme en entreprise.

Le chapitre 7 est consacré à la gestion partenariale de la lutte contre l’illettrisme en entreprise. Notre objectif est de montrer, à partir des enseignements retirés des conditions de performance des actions isolées et internes, que les entreprises et organisations peuvent accéder à un niveau de performance supplémentaire en développant des relations inter-apprenantes par la coopération. Ainsi, après avoir présenté l’environnement des acteurs qui œuvrent pour la lutte contre l’illettrisme, en particulier au travers du réseau illettrisme et des aides financières étatiques dont peuvent bénéficier les entreprises, nous recensons divers types de partenariats possibles dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme. Les conditions de réussite d’une stratégie de partenariat reposent sur plusieurs facteurs : l'instauration d'un climat de confiance, la collectivisation des connaissances et des compétences, l’accessibilité des connaissances relatives aux expériences réussies, la transmission et le partage de ces connaissances, et enfin l’intention d’apprendre. Dans ces conditions, la collaboration apparaît comme une réponse possible à un problème que les entreprises ne peuvent relever aussi efficacement en empruntant la voie du développement autonome. Les cas de plusieurs entreprises démontrent l’intérêt de cette logique de coopération dans la lutte contre l’illettrisme.

Notre recherche s’emploie ainsi à mettre en exergue les conditions de performance économique et sociale des actions de remédiation à l’illettrisme. Ces conditions sont : la sensibilisation des entreprises à l’intérêt économique d’une action de gestion de l’illettrisme, l’utilisation de la pédagogie du dysfonctionnement pour favoriser l’apprentissage utile, l’implication des membres de l’encadrement direct pour organiser le transfert des compétences et connaissances acquises dans l’emploi, la formalisation des savoirs et des savoir-faire pour permettre à chacun de mutualiser ses connaissances et compétences, la capitalisation des expériences pour créer une mémoire organisationnelle des meilleures pratiques en terme de lutte contre l’illettrisme, l’évaluation des effets qualitatifs, quantitatifs et financiers des actions pour mettre en avant l’intérêt de la formation et tirer des conclusions sur leurs conditions de réussite, la création d’un effet de reprise de confiance en soi qui implique de ne pas évoquer le phénomène d’illettrisme au départ de l’action de formation, et la valorisation des acquis.

Dans ce contexte, la gestion de l’illettrisme semble apporter assez de garantie en matière de retour sur investissement pour qu’elle puisse être considérée comme génératrice d’un avantage concurrentiel. Elle peut donc être considérée comme une « best practice ».