1.1.1. L’ILLETTRISME ET LES SITUATIONS D’ILLETTRISME

Nous présentons le phénomène d’illettrisme dans son sens le plus usuel et au travers de sa traduction dans le monde de l’entreprise.

1.1.1.1. DEFINITION DE L’ILLETTRISME

Le Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme (G.P.L.I.), prédécesseur de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (A.N.L.C.I.), considère relevant de situations d’illettrisme, « des personnes de plus de seize ans, ayant été scolarisées, et ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit pour faire face aux exigences minimales requises dans leur vie professionnelle, sociale, culturelle et personnelle »103. A la différence des analphabètes, ces personnes ont donc été à l’école au minimum jusqu’à l’âge légal de fin de scolarité, mais sont sorties du système scolaire en ayant peu ou mal acquis les savoirs premiers pour différentes raisons, et n’ont pu user de ces savoirs et/ou n’ont jamais acquis le goût de cet usage. Il s’agit donc de personnes pour qui le recours à l’écrit n’est ni immédiat, ni spontané, ni maîtrisé. La notion d’illettrisme recouvre donc deux types de situations :

  • des personnes qui ont fréquenté le système scolaire mais qui ont connu des difficultés dans leur parcours et qui n’en ont tiré de ce fait que peu ou pas de bénéfice au niveau de la maîtrise de l’écriture, de la lecture et du calcul,
  • des personnes qui ont suivi un parcours scolaire honorable mais qui progressivement ont désappris l’essentiel de leurs connaissances de base et qui se trouvent désormais dans l’incapacité de lire et d’écrire un texte ayant trait à la vie courante.

La première particularité de la notion d’illettrisme vient du fait que l’on ait été obligé de nommer un phénomène qui jusqu’au début des années 70 n’en constituait pas un. C’est l’association ATD-Quart-Monde qui a formulé ce terme et qui a fait de la lutte contre l’illettrisme sa priorité en 1977. L’illettrisme a par la suite été « révélé » par le rapport de 1984 intitulé « Des illettrés en France » (Espérandieu et al., 1984)104 et commandé par le Premier Ministre en poste. Ce rapport met en évidence que l’illettrisme n’est pas un problème marginal, ni limité à certaines catégories de populations et qu’il faut considérer ce problème comme une situation sociale à risques.

L’illettrisme représente donc un problème historiquement daté du fait que les exigences sociales et professionnelles n’ont cessé de croître ces dernières années, rendant d’une part, le recours à l’écrit de plus en plus obligatoire pour les actes de la vie quotidienne, et restreignant d’autre part, l’accès au marché de l’emploi pour les personnes de faible qualification. Plus largement, le recours limité à l’écrit fragilise ces personnes sur le plan professionnel, mais aussi social, en les excluant de nombreux échanges, ce qui peut les menacer de marginalisation progressive. L’explication de l’illettrisme ne peut donc être que relative puisque ne pas maîtriser l’écrit n’est pas discriminant en soi, c’est dans la société d’aujourd’hui que cela le devient.

La seconde particularité de ce phénomène tient au fait qu’il recouvre plusieurs aspects qui ont pendant longtemps contribué à créer un flou terminologique quant à la notion même d’illettrisme. Parler d’illettrisme peut en effet renvoyer à la fois à l’aspect technique de l’écriture, de la lecture et du calcul, à l’intégration et à l’utilisation de ces techniques ou encore aux dimensions sociales, psychologiques ou culturelles des difficultés rencontrées. Il existe ainsi plusieurs définitions « officielles » de ce terme puisque l’INSEE (Bordier et Chambaz, 1996)105 le mesure selon quatre grands groupes de difficultés : difficultés à parler le français, à le lire, à l’écrire et à maîtriser le langage dans certaines situations de la vie courante ; l’UNESCO106 parle « d’analphabétisme fonctionnel » défini comme l’incapacité d’exercer toutes les activités pour lesquelles l’alphabétisation est nécessaire ; l’EIAA107 (Enquête Internationale sur l’Alphabétisation des Adultes) définit l’illettrisme comme un mode de comportement d’adultes caractérisé par des difficultés à savoir utiliser des imprimés et des écrits nécessaires pour fonctionner dans la société, atteindre ses objectifs, parfaire ses connaissances et accroître son potentiel

La difficulté de fournir une statistique précise sur ce phénomène est une illustration de cette variété de situations d’illettrisme. Son caractère relatif, les multiples sources évoquées, les différentes méthodes de recueil de l’information et les nombreux critères de définition adoptés (Besse et al., 1992)108 ne permettent toujours pas aujourd’hui de créer un consensus sur le nombre réel de personnes qui seraient en situation d’illettrisme. De plus, même si ce problème a fait l’objet de nombreuses campagnes de sensibilisation et de prévention, il existe peu de systèmes de contrôle et de surveillance de ce phénomène. En France, le « repérage » se fait essentiellement par la médecine du travail, le Service National, et les centres de détention. Malgré tout, il existerait en France, selon l’enquête « conditions de vie des ménages » de l’INSEE, 5.4% de français en situation d’illettrisme en 1994. Selon le chiffre donné par le G.P.L.I. en 1995, entre 7 et 9 % de français seraient en difficulté dans la maîtrise des savoirs de base et, selon un rapport controversé de l’OCDE cette même année, 40 % de français en difficulté de « littératie ».

Notes
103.

GPLI, « De l’illettrisme : état des lieux de la recherche universitaire concernant l’accès et le rapport à l’écrit », Ministère du Travail, GPLI, 1995, 55 p.

104.

ESPERANDIEU V., LION A. et BENICHOU J.P., « Des illettrés en France. Rapport au Premier ministre », La Documentation Française, 1984, 157 p.

105.

BORDIER M. et CHAMBAZ C., « Lire-écrire : les difficultés des adultes », Données sociales, INSEE, 1996.

106.

In BOUVET C., FALAIZE B. et FEDERINI F., « Illettrisme, une question d’actualité », Hachette Education, 1995, 175 p.

107.

OCDE, « Littératie, Economie et Société », 1990.

108.

BESSE J.M., DE GAULMYN M.M., GINET D. et LAHIRE B., « L’ illettrisme en questions », PUL, 1992, 332 p., p. 9.