1.1.3.1. SITUATION D’ECHEC ET CUMUL DES « PROBLEMES »

Nous rappelons, à l’instar de B. Lahire (1997)114, que l’école a pour vocation d’apprendre à parler et à écrire selon un certain nombre de règles et dans le cadre d’échanges langagiers « ordinaires » mais « raisonnés ». Dans ce cadre, un salarié en situation d’illettrisme se trouve en position d’échec scolaire du fait de ses lacunes et de ses difficultés à adopter la bonne attitude face au langage. Or, cette situation d’échec a plusieurs incidences au niveau professionnel. Un salarié en situation d’illettrisme est en effet souvent très affaibli psychologiquement par son parcours scolaire chaotique.

Conscient de ses difficultés, ce salarié se sent en premier lieu en position d’infériorité vis-à-vis de ses collègues et croit que ses capacités intellectuelles sont plus faibles que la « norme » ; la « norme » étant définie comme celle instituée, vérifiée dans les livres et non négociable (Morisse, 1997)115. Or, ce sentiment d’infériorité se manifeste très souvent par un sentiment de honte et par une peur que les autres découvrent ses difficultés. Ce salarié, souvent porteur d’une « image de soi » dévalorisée (Lenoir, 1997)116, vit son illettrisme comme une fatalité indépassable, ce qui a pour effet de l’inciter à renoncer facilement ou à résister à toute forme de changement, vécue comme une épreuve. Ainsi, toute forme de mobilité, qui nécessite la perte de repères et implique de nouvelles situations de travail et de nouvelles tâches à réaliser, est en général refusée ou esquivée par les salariés en situation d’illettrisme.

La situation d’échec scolaire entraîne également des blocages quant aux dispositifs d’apprentissage. Il n’est en effet pas rare de constater qu’un salarié ayant eu une scolarisation difficile a de fortes appréhensions à aller en formation. La formation est souvent vécue comme un retour à l’école, surtout s’il s’agit de formations en salle. Le souvenir de l’échec a donc pour principales conséquences un manque de confiance en soi et un rejet des dispositifs d’apprentissage. Ainsi, l’illettrisme serait un échec pérennisé affectant les relations du salarié en difficulté avec son environnement professionnel.

Une deuxième analyse tend à faire de l’illettrisme un phénomène complexe. Il s’agit du cumul des « problèmes » ou plutôt du caractère cumulatif des difficultés rencontrées par les salariés en situation d’illettrisme. Nous constatons en effet souvent que le problème d’illettrisme a des répercussions sur l’environnement social et familial de la personne en difficulté. Ainsi, il n’est pas rare qu’une personne en situation d’illettrisme ait également des difficultés d’ordre familial, d’organisation et de planification domestique, de gestion des « papiers administratifs », d’ordre éducatif vis-à-vis de ses enfants ou encore de réinsertion professionnelle en période de chômage117. La remédiation à cet ensemble de phénomènes est donc complexe.

Notes
114.

LAHIRE B., « Usages sociaux de l’écrit et illettrisme », in ANDRIEUX F., BESSE J.M. et FALAIZE B., 1997, op. cit., pp. 11-20.

115.

MORISSE M., « Rapport à la norme et pratique d’écriture », in ANDRIEUX F., BESSE J.M. et FALAIZE B., 1997, op. cit., pp. 20-26.

116.

LENOIR H., « Entreprise et illettrisme : ne pas renoncer ! », in « L’illettrisme aujourd’hui », Informations sociales, n°59, 1997, pp. 64-71.

117.

BONNET M., « Illettrisme et emploi  », in « Illettrisme : de l'invention de l'illettrisme aux réalités socio-économiques », Actes des journées de réflexion sur l’illettrisme en entreprise publiés par le CARRLI, novembre 1997.