1.2.2.1. TENDANCE A L’ABSTRACTION DES SITUATIONS DE TRAVAIL

Comme nous l’avons déjà souligné, l'environnement de travail est « envahi » par des machines de plus en plus complexes et de plus en plus exigeantes en terme de capacité d'abstraction. Nous parlons d’abstraction dans le sens où, « plutôt que de maniements concrets d’outils basés sur des modes opératoires répertoriés et définissables, il s’agit désormais d’une capacité de lecture, d’interprétation et de décision à partir de données formalisées livrées par des appareils » (Coriat, 1994)125.

Les salariés, et plus particulièrement les opérateurs sur machines ou équipements, constatent en effet une distanciation entre le monde physique et le travail à réaliser (Schwartz, 1994)126. Les opérations purement techniques sont de moins en moins courantes et la « matière première » du travail est faite de signes. L’implantation de nouvelles technologies transforme ainsi la base matérielle de la production et demande que soit en permanence mobilisé l’appareil cognitif. On demande par exemple de plus en plus aux salariés d’avoir recours au raisonnement, à l’abstraction, à l’anticipation ainsi qu’à la lecture et l’écriture. Ainsi le rapport que les salariés entretiennent avec ce qu’ils produisent se modifie, perdant son contact physique et devenant plus abstrait, ce qui traduit une « intellectualisation du travail » (Huault, 1997)127. Cette intellectualisation du travail a comme conséquence principale de faire des « compétences cognitives » (Howell et Wolff, 1991)128 un pré-requis indispensable à l’occupation d’un emploi. Ces compétences correspondent à la complexité des tâches et font appel au niveau de formation initiale, à la formation professionnelle, à la capacité de maîtriser les données (synthèse, coordination et analyse), à l’intelligence générale (capacités d’apprentissage et de raisonnement) et enfin aux savoir-faire verbaux et numériques (Bernard, Besson et Haddadj, 1998)129. Les processus de production sont donc de moins en moins additifs et séquentiels, comme c’était le cas dans l’enchaînement taylorien, et les salariés, dont l’activité principale consistait par exemple à réaliser des contrôles auditifs ou visuels de la production, sont contraints de se détacher de leurs produits.

Notes
125.

CORIAT B., « L’atelier et le robot », Christian Bourgois Editeur, 1994, 2ème édition, 201 p.

126.

SCHWARTZ B., « Moderniser sans exclure », La découverte, 1994, 244 p.

127.

HUAULT I., « Micro-informatique et organisation du travail : paradoxe et complexité d’une relation », Revue de Gestion des Ressources Humaines, n°20, janvier-février 1997, pp. 19-40.

128.

HOWELL D.R. et WOLFF E.N., « Trends in the Growth and Distribution of Skills by US Workplace, 1960-1985 », Industrial and Labor Relations Review, vol. 44, n°3, avril 1991, pp. 486-503, p. 487.

129.

BERNARD A., BESSON D. et HADDADJ S., « La compétence éclatée dans les effets d’organisation. Le dilemme américain : développer ou recruter les compétences ? », in ALLOUCHE J. et SIRE B. (Ed.), « Ressources humaines. Une gestion éclatée », Economica, 1998, 412 p., p. 140.