2.1.1. LE CADRE THÉORIQUE DE LA RECHERCHE

Notre recherche en sciences de gestion est réalisée dans le cadre de l’analyse socio-économique des entreprises et des organisations. Elle emprunte aussi à la psychologie, à la sociologie, aux sciences de l’éducation et aux sciences économiques. Cette ouverture vers d’autres sciences sociales nous est apparue primordiale pour apporter des compléments à la perspective gestionnaire de la lutte et du traitement de l’illettrisme en entreprise. Comme le soulignent J. Igalens et P. Roussel (1998)177, nous pensons que notre recherche « tirera profit d'aller chercher dans des disciplines voisines, incluses ou non dans les sciences de gestion … puisque le champ de la gestion des ressources humaines se construit progressivement en intégrant les apports de nombreuses disciplines scientifiques autour de problématiques communes : la psychologie du travail, la sociologie des organisations, l'ergonomie, etc. ».

La psychologie nous permet de mieux appréhender l’état d’esprit et les capacités cognitives des salariés en situation d’illettrisme qui vivent au quotidien stress, honte, échec et insécurité dans leur emploi. La sociologie des organisations éclaire l’analyse et la compréhension des comportements et des relations de pouvoir entre personnes et groupes au sein de l’entreprise. Les sciences de l’éducation nous ont permis, en particulier au travers des études sur la pédagogie de formation des adultes, de proposer des solutions de remédiation adaptées aux salariés, tout en ayant une approche élargie des ces actions par la prise en compte et la définition des rôles des acteurs présents dans l’environnement du salarié en situation d’illettrisme. Nous avons enfin enrichi notre analyse micro par une analyse macro-économique des causes et des incidences de l’illettrisme en entreprise par le biais des sciences économiques.

Notre recherche en sciences de gestion, à la croisée de la gestion des ressources humaines et du management stratégique, s’est donc enrichie d’autres sciences sociales pour gagner, nous l’espérons, en pertinence. Comme le souligne F. Wacheux (1996178), il s’agit d’une forme de transdisciplinarité qui est aussi un bon moyen de se prémunir contre « l'atomisation fonctionnelle sur laquelle le champ est structuré (stratégie, marketing, finance, gestion des ressources humaines,...) et qui crée souvent des clivages étanches, entre les problémations, les référents et les résultats ». L’analyse socio-économique, notre référent théorique, est par ailleurs inscrite dans cette perspective d’enrichissement mutuel des différentes disciplines et se développe à travers elle. H. Savall rappelait à ce propos lors d’un colloque sur l'audit social en 1993, que « pour les auditeurs socio-économiques, il s'agit de participer à une construction patiente d'une véritable transdisciplinarité, c'est à dire à la construction d'un croisement fécond entre les disciplines ».

La figure ci-dessous schématise ce croisement fécond. Toutes les grandes disciplines évoquent la construction d’un objet scientifique éclairant un aspect de la totalité, constituée par le phénomène d’illettrisme en entreprise, mais en négligeant d’autres aspects de celle-ci.

Figure 2.1 : L’œil du gestionnaire et les yeux complémentaires
Figure 2.1 : L’œil du gestionnaire et les yeux complémentaires Figure inspirée de la construction des domaines scientifiques énoncée par MOUCHOT C., « Méthodologie économique », Hachette Economie, 1996, 318 p., pp. 284-307.

Notre recherche propose de se positionner à l’intersection de ces différentes perspectives « d’attaque » de notre objet en empruntant non pas la totalité, mais seulement certains aspects de ces disciplines qui nous sont apparus éclairants pour la recherche en sciences de gestion.

Dans le domaine des sciences de gestion, nous nous sommes plus particulièrement appuyés sur des théories du domaine de la gestion des ressources humaines (en particulier sur les compétences, les connaissances, la qualification et la formation), de la stratégie (sur les réseaux et le partenariat) et de la gestion stratégique des ressources humaines (sur les ressources, l’apprentissage organisationnel, l’entreprise apprenante et la communication organisationnelle). La figure ci-dessous schématise nos choix thématiques.

Figure 2.2 : Le cadre théorique de la recherche
Figure 2.2 : Le cadre théorique de la recherche

Notes
177.

Ibid, p. 47.

178.

WACHEUX F., « Méthodes qualitatives et recherche en gestion », Economica, 1996, 290 p, p. 21.

179.

Figure inspirée de la construction des domaines scientifiques énoncée par MOUCHOT C., « Méthodologie économique », Hachette Economie, 1996, 318 p., pp. 284-307.