DEUXIEME PARTIE
LA GESTION STRATEGIQUE INTERNE ET EXTERNE DES SALARIES EN SITUATION D’ILLETTRISME

Ce qui pose généralement problème en gestion des ressources humaines, c’est l’articulation entre l’analyse et la décision. Car d’un côté, les dirigeants disposent d’une analyse portant sur des aspects organisationnels liés aux emplois et exprimés de façon neutre et de l’autre, prennent des décisions sur des personnes très clairement identifiées. Dans ces conditions, la notion de compétence apparaît comme le moyen d’articuler les deux dimensions en parlant d’aspects organisationnels, de logique individuelle et de logique collective (Trepo et al., 1997) 329. Il semble ainsi qu’il est important pour l’entreprise d’identifier ses compétences pour les intégrer dans une analyse à dimension stratégique telle que celle développée par C.K. Prahalad et G. Hamel (1990)330 au travers des “ core competencies ” ou par C. Argyris et D.A. Schon (1978)331 pour “ l’organizational learning ”.

Pour justifier l’importance donnée à la gestion des connaissances et des compétences dans le cadre de la gestion des situations d’illettrisme, nous partons de l’hypothèse que, dans un environnement complexe, les entreprises capables de créer et d’intégrer des connaissances et des compétences mieux que leurs concurrents sont susceptibles d’obtenir un avantage concurrentiel. L’un des objectifs de cette partie est ainsi de montrer en quoi la gestion de l’illettrisme en entreprise peut être source de performance économique et sociale et comment les entreprises et organisations peuvent atteindre un tel résultat. Pour cela, nous analyserons les moyens qui permettent à la gestion des connaissances et des compétences de dégager un gain de performance : les ressources humaines porteuses de l’expérience, les processus opératoires qui instrumentalisent les savoirs et savoir-faire, et les informations qui existent dans les systèmes de stockage et d’échange (Ballay, 1999)332.

Un autre objectif sera de montrer que dans une économie marquée par l’incertitude, l’unique source d’avantage concurrentiel durable est le savoir et la mutualisation de ce savoir par des stratégies de partenariat. Nous utilisons le terme “ mutualisation ”, plutôt que de parler de “ partage ”, pour affirmer l’importance de prendre en compte dans la coopération interne et externe les connaissances tangibles et tacites et pour montrer que des projets de gestion des connaissances et des compétences, fondés sur cette mutualisation des retours d’expérience favorisent la formalisation de certaines connaissances et constituent ainsi des leviers de création de valeurs. Nous utiliserons ici les travaux de I. Nonaka, H. Takeuchi et M. Ingham (1997)333 qui ont proposé une typologie des processus de création de connaissances qui repose sur la distinction entre deux types de savoirs. Les connaissances objectives, codifiées, transmises par des moyens formels relèvent du savoir explicite. A l’inverse, le savoir tacite est personnel, contingent, difficile à formaliser et à communiquer. Les auteurs précisent que les entreprises innovantes sont celles capables de modifier et d’accroître les connaissances des individus afin de créer une spirale d’interactions entre le savoir tacite et le savoir explicite, grâce à quatre processus : la socialisation qui consiste à organiser le partage d’expérience entre les individus, ce qui leur permet d’acquérir le savoir tacite des autres sans recourir à un système formel ; l’extériorisation qui consiste à traduire le savoir tacite en concepts explicites par exemple en utilisant des métaphores ; la combinaison qui consiste à rassembler les savoirs dans un système de connaissances par exemple à l’aide de réunions, ou par la réalisation de documents communs ; et l’intériorisation qui consiste à transformer le savoir explicite en savoir tacite et en routines organisationnelles. Dans le cadre de notre sujet sur les personnels illettrés, nous insisterons plus particulièrement sur les processus de transformation des savoirs tacites en savoirs formalisés et écrits.

Notes
329.

TREPO G., DELATTRE V. et FERRARY M., “ La gestion par les compétences : vers la concordance entre stratégie et gestion des ressources humaines ”, Cahier de recherche du Groupe HEC, n°621, 1997, 51 p., p. 4.

330.

HAMEL G. et PRAHALAD C.K.., “ The Core Competence of the Corporation ”, Harvard Business Review, 1990, pp. 79-91.

331.

ARGYRIS C. et SCHON D.A., “ Organizational Learning : A Theory of Action Perspective ”, Addison Wesley, 1978, 344 p.

332.

BALLAY J.F., “ Les processus clés de la gestion des savoirs ”, Expansion Management Review, décembre 1999, pp. 111-119.

333.

NONAKA I., TAKEUCHI H. et INGHAM M. (trad.), “ La connaissance créatrice : la dynamique de l’entreprise apprenante ”, De Boeck, 1997, 320 p., in JOHNSON G., SCHOLES H. et FRERY F., “ Stratégique ”, Pearson Education, 2ème édition, 2002, 717 p.