5.1.1.2. LA GRILLE DE COMPETENCES

Les différentes étapes présentées s’appuient sur un outil de diagnostic primordial : le diagnostic des compétences du secteur d’activité concerné réalisé au travers de la grille de compétences.

La grille de compétences se veut un outil d’analyse de l’adéquation formation-emploi et de description et d’explication de certains dysfonctionnements341. Cette analyse de l’adéquation formation-emploi (figure 5.2) recoupe à la fois les structures organisationnelles, technologiques, démographiques et mentales. Dans ce cadre, l’emploi est analysé au travers de sa capacité d’absorption, de mobilisation et de développement des compétences professionnelles de chacun des salariés (Savall et Beck, 1980)342, et la formation par l’ensemble des compétences acquises dans le cadre de la formation professionnelle continue et de l’expérience accumulée343.

Figure 5.2 : Schéma de l’adéquation formation-emploi
Figure 5.2 : Schéma de l’adéquation formation-emploi

Pour mesurer, décrire et expliquer l’adéquation formation-emploi, l’analyse socio-économique des organisations utilise une grille de visualisation des compétences disponibles dans une unité et procède par un diagnostic de ces compétences. Cette grille, élaborée et, en général, remplie par le responsable hiérarchique de l’unité, fait apparaître en ligne l’ensemble des salariés de l’unité concernée et, en colonne, l’ensemble des opérations concrètes et observables réalisées ou prochainement à réaliser par cette unité.

Elle distingue trois types d’opérations en colonne :

Ces colonnes sont formalisées par le responsable hiérarchique de l’unité en collaboration avec ses subordonnés344.

Les lignes et les colonnes étant identifiées, le diagnostic des compétences du service se poursuit par l’évaluation de chacun des individus par rapport à chacune des opérations identifiées (intersection des lignes et des colonnes). Cette évaluation, réalisée par le responsable hiérarchique, est réalisée selon une échelle à quatre niveaux. Le premier niveau, symbolisé par un carré noir, traduit une maîtrise complète de l’opération par l’individu, c’est-à-dire qu’il a une connaissance théorique parfaite du travail à réaliser, et qu’il a une pratique régulière et efficace de l’opération. Cette cotation signifie également que la personne est capable de former ou de transférer à d’autres ses connaissances et compétences en la matière. Le deuxième niveau, représenté par un carré semi-noir, traduit une bonne connaissance théorique mais une pratique trop occasionnelle de l’opération ou, inversement, une pratique régulière de l’opération mais avec une connaissance théorique limitée aux principes généraux. Le troisième niveau, identifié par un carré blanc, signifie que la personne a une connaissance théorique de l’opération mais ne la pratique pas ou qu’elle la pratique sans aucune connaissance théorique. Enfin la dernière cotation, représentée par un trait, est utilisée lorsque le salarié n’a ni connaissance théorique, ni pratique de l’opération à réaliser ou encore lorsqu’il n’est pas concerné par celle-ci.

Ce double niveau de cotation, à la fois théorique et pratique, est particulièrement adapté dans le cadre d’unités ayant des salariés en situation d’illettrisme, puisqu’il permet d’une part de mettre en évidence les cas où les connaissances théoriques, comme peuvent l’être les connaissances de base, se dégradent en l’absence de pratique. D’autre part, cette cotation permet d’évaluer les cas où des salariés, grâce à leur expérience, parviennent à réaliser une opération sans en avoir appris les principes théoriques, et qui généralement se retrouvent en difficulté face à des changements d’organisations, d’outils de production ou encore de procédures. La grille de compétences permet donc de recenser, pour chaque personne, les lacunes en compétences et en connaissances sur les opérations usuelles ou nouvelles à partir de leur niveau de réalisation effectif.

La lecture horizontale de la grille de compétences permet de mesurer le degré de polyvalence de chacune des personnes de l’unité. La lecture verticale permet d’apprécier le degré de vulnérabilité de l’unité sur des opérations courantes ou à développer.

Cette grille de compétences s’inscrit dans une démarche globale de gestion des compétences. Elle peut être utilisée à la fois pour l’élaboration de plans de formation, pour l’élaboration d’un plan de remplacement des absents, grâce à l’étude des compétences disponibles, et pour la réalisation d’un diagnostic de l’adéquation formation-emploi tel que nous nous proposons de le faire.

Pour les actions de formation, les grilles de compétences et les dysfonctionnements diagnostiqués dans l’organisation en question sont des points d’appui opératoires pour la conduite de l’action de relèvement des compétences et des connaissances. Toute action de formation intégrée s’appuiera donc sur la pédagogie du dysfonctionnement345, c’est-à-dire sur les difficultés rencontrées sur le poste de travail et sur l’expérience des personnes en formation. Nous mobilisons ainsi, dans ce type de pédagogie, le concept de savoir actionnable (actionnable knowledge) décrit par C. Argyris (1995)346 qui fait appel à la fois au savoir que réclame le monde de la pratique et au savoir qui sert à la créer par la précision des techniques requises pour lui donner effet et des conditions de son maintien. Les dysfonctionnements peuvent ainsi être transformés en opportunités d’apprentissage et utilisés comme des cas pratiques en formation.

Notes
341.

SAVALL H. et ZARDET V., 1989, op. cit., p. 184.

342.

SAVALL H. et BECK E., « Méthode d’expérimentation d’actions de restructuration des emplois avec formation intégrée », Rapport ISEOR, mai 1980, 133 p.

343.

SAVALL H. et ZARDET V., 1989, op. cit., p. 164.

344.

Cf. annexe 6 pour la matrice de l’outil « Grille de compétences ».

345.

Voir par exemple BECK E. et BONNET M., sous la Direction de SAVALL H., « Monographie d'une action de formation intégrée avec restructuration des emplois dans une usine de verrerie », Rapport ISEOR, 1981.

346.

ARGYRIS C., « Savoir pour agir. Surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel », Avec les contributions de MOINGEON B. et RAMANANTSOA B., InterEditions, 1995, 330 p., p. 15.