5.1.3.2. LOGIQUE DE L’ACTION DE FORMATION INTEGREE

Comme nous l’avons déjà évoqué dans la première partie, les réactions de rejet sont nombreuses lorsque l’on cherche à réaliser des actions de formation de « remise à niveau » ou « formation dans les connaissances de base ». Ce type d’action renvoie en effet souvent les personnes en situation d’illettrisme à des expériences traumatisantes d’échec scolaire, ou à d’autres souvenirs d’actions de formation dans lesquelles ces personnes ont vécu une situation d’exclusion en raison de leur handicap.

Il apparaît en revanche que des formations plus générales, qui s’appuient sur l'expérience concrète des salariés, permettent à la fois de redonner confiance à ceux qui sont en difficulté, de reconnaître leurs compétences malgré leurs lacunes en lecture ou écriture et d’initier un processus d’apprentissage à partir de leurs savoirs enfouis.

Figure 5.14 : Principaux résultats issus des actions de formation intégrée de l’entreprise (A2)
  Qualitatifs Quantitatifs Financiers
    42 570 Heures 286 910 €
1) Produits Traitement des déchets, réglage des machines X 60 065 €
2) Charges Contrôle des matières premières, modification de la composition des produits, traitement des chutes X 226 845 €
3) Qualité/productivité      
- Fonctionnement des lignes (maintenance, réglage des lignes, paramétrage, traitement du vrac) Maintenance préventive et gestion des chutes
18 548 X
- Matériel, machines Tunnel, transpalettes, balances, emballage 9 766 X
- Qualité de la matière première et des produits Meilleur contrôle, traçabilité des produits 1 666 X
- Gestion commerciale Sélection des fournisseurs, délais, 1 145 X
- Formation des permanents Maintenance préventive 363 X
- Procédures, règles du jeu de fonctionnement Gestion des stocks, des retards et qualité 9 084 X
- Planification des activités Planning de production, amélioration des 3C sur la planification 826 X
- Communication-Coordination Mise en place de réunions 1 172 X
©ISEOR 2001

La pédagogie des dysfonctionnements autour de laquelle l’action de formation intégrée se met en place permet en effet de s'appuyer sur des situations concrètes et donc d'apporter des enseignements directement utilisables sur le poste de travail. Mais elle constitue également un tremplin pour aller vers d'autres types de formation. Dans cette optique, la formation dans les connaissances de base ne peut être qu'un palier parmi d'autres ou ne venir qu'en complément à la formation purement professionnelle (figure 5.15).

Figure 5.15 : Exemple de logique de parcours de remédiation à l’illettrisme par la formation

Dans le cas de l’entreprise (A2) précédemment évoqué, l’action de formation intégrée n’avait pas pour objectif de traiter la question de l’illettrisme. L’entreprise n’avait peut-être même pas conscience que certains de ses salariés étaient dans cette situation. Cependant, à l’issue de l’action de relèvement des compétences, deux mois plus tard, certains salariés se sont manifestés auprès de leur responsable hiérarchique pour intégrer un dispositif centré sur les connaissances de base (hors contexte professionnelle). La demande a été telle que l’entreprise (entendue comme le groupe réunissant les entités (A1) et (A2)) a créé une structure d’accueil pour que les salariés volontaires puissent suivre des cours de remise à niveau dans les connaissances de base. L’effet déclic avait donc agit. Les entreprises (I) et (E) dont nous développerons les caractéristiques dans les chapitres suivants ont également vécu les effets de cette reprise de confiance en soi, de cette réhabilitation des salariés en difficultés dans leur emploi et de l’effet induit des actions de formation sur la volonté de réapprendre.

Les entreprises et organisations peuvent ainsi adopter une stratégie telle que le plan de formation établi ne comporte pas de remise à niveau scolaire et n'y fasse pas allusion. Dans ce cas, les expérimentations réalisées en entreprise nous montrent que ce sont les salariés eux-mêmes qui, après avoir repris confiance en eux, sont demandeurs de formation dans les connaissances de base. Cette pédagogie s'appuyant sur l'expérience permet en quelque sorte de créer un déclic et de réactiver l'envie d'apprendre en combinant deux objectifs complémentaires, la réduction des facteurs négatifs induits par les situations d’illettrisme et la création d’une dynamique de requalification impliquant tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise.

La logique de l’action de formation intégrée, appliquée au cas de la remédiation aux situations d’illettrisme, évite ainsi de rentrer dans un dispositif de requalification en passant « par la porte de l’illettrisme » et prend donc, en quelque sorte, à contre-pied les logiques d’actions de lutte contre l’illettrisme habituellement mises en place dans les entreprises. En effet, les inconvénients de ces actions classiques sont la déconnexion de la formation par rapport aux situations de travail et par rapport aux besoins économiques de l’entreprise, la réticence de certains salariés à aller en formation en salle ou à révéler leurs situations d’illettrisme en participant à une formation ciblée sur le thème des connaissances de base. A contrario, les actions de formation intégrée liées à la prévention des dysfonctionnements (dont fait partie l’illettrisme) utilisent les situations de travail comme instants privilégiés d’apprentissage. Cela semble beaucoup plus performant du point de vue de l’entreprise, qui gagne globalement en qualité et efficacité, et du point de vue des salariés qui adhèrent plus facilement au projet.

Dans ce contexte, deux conditions de performance économique et sociale des actions de remédiation aux situations d’illettrisme nous semblent être indispensables en complément de toutes les pistes énoncées précédemment, la formation de remise à niveau ne constituant dans notre exemple de parcours qu’une étape parmi d’autres.

Notes
368.

Cf. annexes 4, 7 et 8.