5.2.1. IMPLIQUER L’ENSEMBLE DES LIGNES HIERARCHIQUES DANS LES ACTIONS STRATEGIQUES DE DEVELOPPEMENT

5.2.1.1. IMPACTS DES CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS SUR LES FONCTIONS DE L’ENCADREMENT

L’encadrement intermédiaire fait souvent partie des groupes les plus menacés lorsqu’une organisation modifie la manière de travailler de ses membres (Osterman, 1995)369 ou lorsqu’il y a une évolution du rôle et des compétences des personnels de base. Y. Giordano370 estime par exemple qu’il peut y avoir une injonction paradoxale lorsqu’un manager donne l’ordre à ses collaborateurs d’être plus autonomes car cet ordre peut être mal interprété par les acteurs et aboutir au résultat inverse de celui recherché. P. Gilbert371 montre à partir d’un cas d’une usine du groupe Usinor, qu’une démarche de changement du mode de management des ressources humaines, par l’introduction d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par exemple, induit de nombreuses perturbations pour le personnel d’encadrement. Il souligne en particulier une individualisation des relations de travail, un manque d’implication progressif des responsables opérationnels et une résistance de leur part car ils apparaissent finalement comme le maillon faible de la chaîne dans la gestion des compétences.

Le rôle du personnel d’encadrement est par ailleurs largement perturbé par les changements liés aux évolutions technologiques. Ces changements, comme ceux inhérents à l’introduction de l’informatique ou des nouvelles technologies de communication, induisent en effet un passage progressif d’une organisation technique et humaine pyramidale à des structures plus « allégées », ce qui conduit à supprimer des échelons hiérarchiques et à revoir le processus de décision (Weiss, 1994)372. Les modes de communication étant plus directs, l’encadrement intermédiaire tend ainsi à être « court-circuité » et subit une remise en question de ses statuts et de ses relations d’autorité (Dupuich-Rabasse et Zarifian, 2001)373. Comme le montre également R. Reix (1990)374 et I. Huault (1997)375, le recours aux nouvelles technologies d’information et de communication réduisent donc le besoin de hiérarchies intermédiaires et remettent en cause l’utilité de ces derniers pour l’entreprise.

Pour limiter ce sentiment de perte de pouvoir et d’exclusion, l’implication et le développement du rôle et du potentiel de l’encadrement dans toutes actions visant un développement organisationnel apparaissent donc nécessaire. Le rôle des membres de l’encadrement peut être étudié au travers de la théorie des rôles formulée par Kahn (1964)376 qui a pour objectif d’étudier les facteurs explicatifs des tensions de rôle ainsi que leurs conséquences sur les attitudes et comportements. Deux concepts sont rattachés à cette théorie : le conflit de rôle et l’ambiguïté de rôle. Le conflit de rôle apparaît par exemple lorsque l’encadrement estime que la montée en compétences de ses subordonnés est une menace pour sa fonction. Or, une formation à destination de salariés en situation d’illettrisme peut dans certains cas provoquer ce type de réactions. Il n’est pas rare en effet de constater que des agents de maîtrise ou des chefs d’atelier apparaissent comme un verrou face à la progression du personnel vers de nouvelles responsabilités. Dans ce cas, l’encadrement de proximité peut avoir le sentiment de devenir moins utile à la structure, surtout s’il assume un poste de « super-technicien », et de perdre son pouvoir hiérarchique. Cela entraîne des réactions de résistance face aux actions de transformation de l’organisation. L’ambiguïté de rôle est quant à elle le résultat de changements de statut, de fonction ou de métier à la suite d’une modification du mode de management. Cette situation se manifeste particulièrement dans le cas où l’encadrement est investi de nouvelles missions initialement prises en charge par le service ressources humaines : gestion des carrières, gestion des promotions, compétences du personnel de base, gestion des plans de formation,… . Cette décentralisation de la fonction ressources humaines vers l’encadrement de proximité, induite en général par la revalorisation et le renforcement des compétences du personnel de base, est en effet, par nature, déstabilisatrice (figure 5.16).

Pour un responsable d’équipe ayant, comme c’est souvent le cas, gravi les échelons hiérarchiques par ancienneté et grâce à ses compétences techniques, le passage d’un rôle de superviseur et de conseiller technique à celui de gestionnaire et de manager est très difficile. Il n’a en général pas de formation suffisante pour assumer ces nouvelles fonctions de façon sereine. Il se détache petit à petit de ce pourquoi il avait été embauché à l’origine, il se retire progressivement du terrain pour se rapprocher d’un travail plus administratif et enfin, il doit assumer des fonctions de plus en plus stratégiques en lien avec la Direction.

Figure 5.16 : Extrait de diagnostics illustrant les difficultés rencontrées par l’encadrement
Causes Ent. Population Phrases-témoins
MANQUE DE COMPETENCES EN MANAGEMENT A2 Encadrement de proximité « Le problème c’est qu’on ne nous a pas appris à gérer des personnes donc j’ai du mal à avoir de l’autorité »
SURCROIT DE TACHES ADMINISTRATIVES B Direction et Encadrement « Dans cette usine, trop de temps est désormais consacré aux tâches administratives et au papier. On oublie que l’on produit de l’acier et il y a de moins en moins de mobilisation autour du produit »
MAUVAISE CONDITIONS DE DELEGATION B Direction et Encadrement « Il y a un transfert important de l’activité gestion des ressources humaines sur les hiérarchiques. Mais est-ce la bonne solution quand on voit dans quelles conditions ce transfert est réalisé ? »
MANQUE DE POUVOIR DES HIERARCHIQUES B Direction et Encadrement «  Le pouvoir du chef d’atelier est tellement faible qu’il a peu d’autorité auprès de son personnel pour faire appliquer les règles de travail et les consignes »

Toutes ces perturbations tendent ainsi à créer une situation ambiguë pour l’encadrement quant à son rôle attendu. Nous formulons l’hypothèse qu’une action de relèvement des compétences des personnels illettrés et/ou faiblement qualifiés nécessite d’impliquer l’encadrement intermédiaire en développant son rôle de formateur et de management d’équipe.

Notes
369.

OSTERMAN P., « Impact des technologies de l’information sur les postes de travail et les spécialités du personnel », in SCOTT MORTON M.S. (ed), « L’entreprise compétitive au futur, technologies de l’information et transformation de l’organisation », Les Editions d’Organisation, 1995, pp. 273-304.

370.

GIORDANO Y., « Communication d’entreprise : faut-il repenser les pratiques managériales ? », Revue Française de Gestion, décembre, 1994, pp. 49-61.

371.

GILBERT P., « L’instrumentation de gestion. La technologie de gestion science humaine ? », Economica, 1998, 156 p.

372.

WEISS D., « Les nouvelles frontières de l’entreprise », Revue Française de Gestion, n°100, septembre-octobre 1994, pp. 38-49. 

373.

DUPUICH-RABASSE F. et ZARIFIAN P., « La compétence des collectifs de travail à l’épreuve des technologies de l’information et de la communication », Actes du XIIème Congrès de l’AGRH, 2001, pp. 527-541 p. 532.

374.

REIX R., «  L’impact organisationnel des nouvelles technologies de l’information », Revue Française de Gestion, n°77, janvier-février 1990, pp. 100-106.

375.

HUAULT I., « Micro-informatique et organisation du travail : paradoxe et complexité d’une relation », Revue de Gestion des Ressources Humaines, n°20, janvier-février 1997, pp. 19-40.

376.

KAHN R.L., WOLFE D., QUINN R. et SNOEK J., « Organizational stress : studies in role conflict and ambiguity », John Willey, 1964, 390 p.