CONCLUSION DU CHAPITRE 5

La méthode de formation intégrée consiste à prendre à rebours certaines logiques de processus de formation en entreprise qui commencent par une remise à niveau scolaire pour déboucher sur des formations à caractère professionnel.

Les actions de formation intégrée, telles qu’elles sont développées dans le cadre des interventions socio-économiques, s’appuient sur le savoir actionnable (Argyris, 1995)384 et pas seulement sur le savoir théorique. En effet, ces actions ont pour objectifs de créer, de développer un savoir tout en précisant les techniques requises pour leur donner effet et les conditions de leur maintien.

Les actions mises en place, en particulier dans les entreprises (A2) et (C), nous permettent de tirer plusieurs enseignements sur les performances économique et sociale des actions de formation visant le relèvement des compétences de salariés en situation d’illettrisme (figure 5.17).

Ces performances ont comme caractéristique d’être générées par effet de processus d’amélioration continue. En raison de sa méthode, de ses outils et de sa pédagogie, une action de formation intégrée implique en effet, à un moment ou un autre du processus par escalier, tous les niveaux hiérarchiques de l’entreprise. Ainsi l’acquisition de nouvelles connaissances et compétences à un niveau individuel peut avoir une influence sur un niveau semi-collectif (un groupe de salariés), puis collectif (un service), et enfin organisationnel (l’entreprise). Les gains retirés d’une action de formation intégrée peuvent donc avoir une croissance cumulative (figure 5.18). Nous retrouvons dans cette analyse l’importance du rôle de l’encadrement intermédiaire. S’il parvient à s’inscrire dans ce flux organisationnel de création et d’entretien des compétences, l’encadrement peut en effet voir son pouvoir s’accroître par ce que M. Crozier et E. Friedberg (1977)385 appelle « le pouvoir du marginal sécant », c’est-à-dire le pouvoir d’être partie prenante de plusieurs systèmes d’actions en jouant le rôle d’intermédiaire pour l’organisation.

Figure 5.18 : Performances issues des actions de formation intégrée
Figure 5.18 : Performances issues des actions de formation intégrée
Figure 5.19 : Filière de propagation simplifiée des performances d’une action de formation intégrée
Figure 5.19 : Filière de propagation simplifiée des performances d’une action de formation intégrée

Plusieurs conditions apparaissent toutefois nécessaires pour garantir la performance des actions de remédiation à l’illettrisme. Elles doivent tout d’abord pour permettre aux salariés formés de retrouver le goût de l’apprentissage et leur redonner confiance en eux et dans leur utilité au sein de l’entreprise. Cette approche de l’apprentissage, à la différence des actions centrées exclusivement sur les connaissances de base, semble en effet rendre les personnes formées beaucoup plus réceptives aux connaissances et compétences diffusées et permet d’éviter de stigmatiser les apprenants sur leur « handicap » face à l’écrit et la lecture. Pour être efficaces, l’expérience montre que les actions doivent s’effectuer par des cycles386 alternant des phases orientées vers une démarche prescrite et des phases orientées vers une démarche qualifiante et construite. Ces phases permettent en effet de relever le niveau de compétences par palier. Elles alternent des périodes de transformation, de consolidation sur le terrain et de qualification permettant à chaque acteur d’avancer à son rythme et de prendre conscience rapidement des progrès réalisés. Enfin, il apparaît qu’une action de formation ne faisant pas référence à l’illettrisme est à la fois mieux acceptée par l’entreprise et par les salariés participant au dispositif. L’entreprise évite ainsi de révéler « publiquement » que certains de ses salariés sont en situation d’illettrisme, ce qui pourrait lui porter des préjudices vis-à-vis de son environnement externe. Dans les cas étudiés, les personnes en difficulté participent quant à elles à l’action de formation sans crainte d’être cataloguées comme « illettrées ». Paradoxalement, une des conditions de la performance des actions de remédiation à l’illettrisme est donc de ne pas traiter de l’illettrisme…mais de créer des conditions favorables à la réinsertion professionnelle des salariés en difficultés, et à l’origine menacés dans leur emploi, pour leur redonner le goût d’apprendre et leur permettre d’apprendre à apprendre.

Notes
384.

ARGYRIS C., « Savoir pour agir – Surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel », avec les contributions de MOINGEON B. et RAMANANTSOA B., InterEditions, 1995, 330 p.

385.

CROZIER M. et FRIEDBERG E., « L’acteur et le système, les contraintes de l’action collective », Edition du Seuil, 1977, 478 p., p. 73.

386.

AMADIEU J.F. et CADIN L., « Compétence et organisation qualifiante », Economica, Collection Gestion Poche, 1996, 110 p., p. 95.