6.2.1.3. LIMITES DU MODELE DE L’APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL DE ARGYRIS ET SCHON

Plusieurs limites peuvent être apportées au modèle de l’apprentissage organisationnel proposé par C. Argyris et D.A. Schön (1978)457. La première est que leurs travaux s'appuient toujours sur un modèle comportemental de type stimulus-réponse. L'apprentissage, même par double boucle, est ainsi toujours réactif : c'est lorsque l’organisation détecte un écart entre ses attentes et la réalité que peut se mettre en œuvre un apprentissage qui implique la détection et la correction d'erreurs. La mise en œuvre pratique de leur théorie pose également problème. Il est d’une part difficile de distinguer les deux formes d’apprentissage dans des situations concrètes (Leroy, 1998)458 et, d’autre part, un apprentissage par double boucle apparaît extrêmement difficile à mettre en place et nécessite une intervention extérieure (en général un consultant), qualifiée de « magique » par A.C. Edmonson (1996)459. De plus, chez C. Argyris et D.A. Schön (1978), l’apprentissage reste essentiellement individuel. Le lien entre les niveaux individuels et organisationnels n’est pas explicite dans leur théorie. En effet, selon eux, l'apprentissage organisationnel passe nécessairement par l'individu, qui construit sa propre représentation de la théorie appliquée de l'organisation. Or, même pour les auteurs, cette image est toujours incomplète et les individus cherchent sans cesse à la compléter et à se situer par rapport au contexte. Quand les conditions changent, ils testent et modifient leur description. C. Argyris et D.A. Schön (1978)460 expliquent donc comment les individus modifient leurs théories de l'action mais non comment les théories de l'action organisationnelles sont changées, ni comment on passe de l'apprentissage de l'individu à un apprentissage collectif. Enfin, deux conceptions de l’apprentissage sont généralement opposées, ce qui pose le problème de la définition précise de la notion d’apprentissage organisationnel. La première est centrée sur l’individu et pose le problème de la dimension organisationnelle, et la seconde sur l’organisation considérée comme un tout et où la relation entre l’évolution des réponses de l’organisation et la construction des savoirs n’est pas étudiée (Charue, 1992)461. Il n’y aurait finalement d’apprentissage organisationnel que si chaque membre de l’organisation, par un processus d’essais-erreurs, construit de nouveaux savoirs qui sont ensuite codés dans les théories de l’action de l’organisation, c’est-à-dire dans les procédures et dans le savoir partagé par tous les membres de l’organisation et transmis par les processus de socialisation (Charue et Midler, 1992)462.

Notes
457.

ARGYRIS C., SCHON D.A., 1978, op. cit.

458.

LEROY F., « L’apprentissage organisationnel : une revue critique de la littérature », Actes de la VIIème Conférence de l’AIMS, mai 1998.

459.

EDMONSON A.C., « Three faces of Eden – the persistence of competing theories and multiple diagnoses in organizational intervention research », Human Relations, vol. 49, n°5, 1996, pp. 571-595.

460.

ARGYRIS C., SCHON D.A., 1978, op. cit.

461.

CHARUE F., « Les entreprises peuvent-elles apprendre ? », Working Paper, CRG, n°9, 1992, pp. 3-11, p. 10.

462.

CHARUE F. et MIDLER C., « L ‘apprentissage organisationnel d’une nouvelle logique industrielle : le cas de la fiabilité dans les tôleries robotisées », Working Paper, CRG, n°9, 1992, pp. 61-84, p. 72.