LES LIMITES ET PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE

Notre recherche constitue à la fois l’aboutissement de quatre années de recherche et une base de travail pour de nouveaux travaux scientifiques. Cet « arrêt sur image » comporte ainsi un certain nombre de limites qui constituent des voies d’approfondissement et d’enrichissement.

Nous avons souligné l’importance d’intégrer les membres de l’encadrement direct dans les actions de formation intégrée pour les conforter dans leur rôle de hiérarchique. Cependant, nous avons considéré dans la plupart des cas que les connaissances et le savoir-faire étaient désinvestis de considérations de pouvoir ou d’enjeux de nature stratégique. Nous n’avons ainsi pas abordé les cas de réticences à partager ces ressources.

Hormis les entreprises (C) et les entreprises regroupées sous (I), notre échantillon d’entreprises comporte en majorité des grandes organisations. Il conviendrait ainsi d’approfondir notre recherche en étudiant les capacités des petites et moyennes entreprises à mener une action de formation intégrée en coopération avec leur branche professionnelle par exemple.

Enfin, l’ensemble des actions que nous avons proposées, qu’elles soient inter ou intra-organisationnelles, de part leurs modalités et leurs résultats, se distinguent d'une approche curative de l’illettrisme pour se rapprocher davantage d'un modèle civique qui situe la lutte contre l'illettrisme comme un enjeu de citoyenneté. Celui qui est qualifié d’illettré n'est pas un handicapé cognitif ou social qu'il s'agit de soigner ou de redresser : c'est un acteur de l’entreprise parmi les autres qu’il est possible de rassurer quant à son employabilité. Mais la citoyenneté de l’entreprise n’est pas quelque chose de philanthropique, puisque la responsabilité économique force à raisonner avant tout en des termes financiers. La citoyenneté doit donc « payer » et ne peut être totalement désintéressée. Il conviendrait donc de trouver des méthodes ou des dispositifs pour inciter l’entreprise à se tourner vers son environnement ou à mettre en place des actions appropriées de lutte contre l’illettrisme. Nous avons pu constater par exemple que l’Etat tentait indirectement de jouer ce rôle par l’accroissement des budgets alloués au financement de la lutte contre l’illettrisme en entreprise. Toutefois, ces budgets ne sont pas toujours bien utilisés (actions déconnectées des situations de travail), et des organismes se positionnent sur ce marché sans avoir des compétences suffisantes dans ce domaine (opportunisme). Ainsi, la pression socio-politique, définie par A.C. Martinet (1983)548 comme une exigence formulée par une partie de la société environnante, telle qu’elle opère actuellement sur les entreprises afin qu’elles intériorisent des coûts sociaux ou qu’elles se tournent vers des acteurs économiques compétents pour l’aider dans sa tâche, ne semble pas toujours efficace. Le partenariat semble être un mode de relation intéressant pour que la société et les entreprises profitent du traitement de l’illettrisme. Mais il en existe d’autres. En jouant sur l’image de marque, sur la réputation, sur la médiatisation des valeurs de l’entreprise, en mettant la citoyenneté au cœur de la stratégie de l’entreprise, les entreprises pourraient être incitées à gérer l’illettrisme en entreprise. En autorisant les entreprises à traiter de l’accumulation du capital humain comme d’un investissement, au même titre que les équipements, par exemple par des dispositions prévoyant que les investissements consacrés à la formation seront déductibles de l'impôt, l’Etat peut aussi avoir son rôle à jouer. Cette notion d’entreprise citoyenne et les modes d’incitations nous paraissent ainsi des voies d’approfondissement intéressantes pour la recherche sur le thème de l’illettrisme en entreprise.

Ces limites ne sont pas les seules, mais elles permettent d’envisager le perfectionnement de notre recherche.

Notes
548.

MARTINET A.C., « Stratégie », Vuibert, 1983, 320 p., p. 71.