LES ENTREPRISES FACE A L'ILLETTRISME
Synthèse de l'étude réalisée par l'OFEM en juillet 1992

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Loin d'avoir disparu, comme beaucoup le souhaiteraient, l'illettrisme sévit toujours. Plus répandu et moins visible que l'analphabétisme avec lequel on le confond souvent, il réduit considérablement les perspectives tant professionnelles que privées des individus. En limitant les capacités de synthèse, de compréhension et d'expression, l'illettrisme marginalise. Qu'en est-il au sein des entreprises ? Alors qu'il n' est partout question que de meilleure qualification, de mutation technologique, ce handicap est-il perçu ? Comment est-il géré ? Les dirigeants s'en accommodent-ils ?

La Délégation à la Formation Continue (DFC), par le biais de l'Observatoire de la Formation, de l'Emploi et des Métiers (OFEM), a mené enquête, afin d'identifier les différentes attitudes des chefs d'entreprise face à cette réalité et de formaliser un certain nombre de préconisations opérationnelles. En effet, non seulement, l'illettrisme concerne plus de 9 % des 37 millions d'adultes valides en France métropolitaine, mais, de plus, il peut avoir des conséquences graves pour l'activité de l'entreprise et pour la sécurité de son personnel. Afin de ne pas susciter d'attitude négative ou de rejet lors des entretiens, l'OFEM a interrogé les entreprises sur les postes peu ou pas qualifiés et les problèmes posés par la gestion de ces postes. De cette manière, même s'ils hésitent à reconnaître que le problème existe chez eux, la grande majorité des chefs d'entreprise a spontanément évoqué les difficultés posées par les personnels peu ou pas qualifiés. Cela concerne, d'une part les attitudes du personnel conséquentes à son bas niveau d'éducation (manque d'autonomie et de motivation) et, d'autre part, les problèmes de compréhension écrite et orale, ainsi que les difficultés à raisonner.

Premier point à préciser : qu'entend-on par illettrisme ? On différencie aujourd'hui l'analphabétisme, une incapacité totale à lire et à écrire, de l'illettrisme. Cette dernière notion recouvre des situations où l'individu, ayant oublié des connaissances de base mal intégrées, manifeste des difficultés à maîtriser la lecture, l'écriture, le calcul, l'enchaînement d'opérations concrètes et le raisonnement logique. La plupart des chefs d'entreprise, surtout des PME-PMI de moins de 200 salariés, confondent les deux. Ainsi, même s'ils identifient les difficultés gênantes pour le bon fonctionnement de l'entreprise et son développement, ils ne fort généralement pas le lien avec l'illettrisme. Les conséquences sont pourtant loin d'être identiques.

En effet, quel que soit le secteur d'activité (industrie, hôtellerie. services hospitaliers, nettoyage ), les postes peu ou pas qualifiés sont soumis comme pour tout salarié à la connaissance et au respect du règlement intérieur. des normes d' hygiène et de sécurité de l'entreprise. Les exemples sont nombreux où la lecture et, surtout, la compréhension d'un texte écrit sont devenus les passages obligés du bon déroulement d'une activité professionnelle même à faible qualification. D'autant que les qualités d'autonomie et de polyvalence sont recherchées par les entreprises, y compris pour les postes les moins qualifiés. Certains produits d'entretien ne doivent pas être mélangés à d'autres. Des machines ne pourront fonctionner que si des opérations précises ont été accomplies. Face à ces situations, les "illettrés" compensent leurs difficultés par une bonne mémoire ou une aide ponctuelle demandée à l'entourage. Mais cela ne suffit pas toujours.

Les problèmes liés à l'illettrisme varient selon la taille de l'entreprise. Ils deviennent d'autant plus sensibles lorsque l'entreprise met en place un programme qualité qui implique une opération préalable de qualification des personnels. Ces évolutions tendent à faire progresser le personnel à condition que celui-ci maîtrise les bases nécessaires : calcul, écriture, raisonnement. De même, lors d'une restructuration ou en cas de réduction du personnel d'encadrement et donc d'augmentation des tâches et des responsabilités confiées aux postes peu ou pas qualifiés, l'illettrisme fréquent à ces bas niveaux de qualification peut poser de grosses difficultés aux chefs d'entreprise. Sans compter les réticences à la mobilité ou les blocages lors d'un changement de posté.

Cela n'empêche pas 17 % des entreprises. essentiellement celles de moins de 50 salariés, de déclarer que leurs postes peu ou pas qualifiés ne leur posent pas de problème. Dans ces structures, la dimension familiale prévaut souvent. Bien qu'ayant un plus fort pourcentage de personnes non qualifiées, les petites entreprises affichent un faible turnover. Le personnel est fidèle ; en moyenne, il a quinze ans d'ancienneté. Dans ce type d'entreprise, l'illettrisme n'est pas considéré comme un handicap. Pourvu qu'il n'entrave pas le travail !. La formation se fait "sur le tas". La hiérarchie joue alors un rôle plus appuyé, qui compense les lacunes du personnel et la faiblesse voire l'absence totale des budgets formation. De plus, les chefs de petites entreprises reconnaissent qu'ils ont besoin de ce personnel lorsqu'ils offrent des postes fatigants, mal rémunérés, ne demandant aucun savoir-faire et donc difficiles à pourvoir. Ce même argument est invoqué par les chefs d'entreprise de plus de 50 salariés. Il faut bien que quelqu'un fasse le travail !

En matière de formation et d'alphabétisation. les attitudes varient du tout au tout. D'abord, l'investissement en formation dépend de l'évolution technologique et économique de l'entreprise. Là encore. les plus petites n'envisagent aucune évolution pour elles-mêmes et donc aucune pour leur personnel. Seuls 20 des chefs d'entreprise de 50 à 200 salariés interrogés sont favorables à une formation à l'alphabétisation. En revanche, 65 % d'entre eux n'envisagent pas de formation ; ils préfèrent recruter du personnel plus qualifié, quitte à licencier les personnes peu ou pas qualifiées. Les entreprises de plus de 200 salariés prévoient quant à elles d'évoluer technologiquement et donc de recruter du personnel plus qualifié. La moitié d'entre elles est favorable à l'alphabétisation du personnel illettré en poste, condition jugée indispensable au maintien de l'employé à son poste.

Quelques chefs d'entreprise justifient leur scepticisme à l'égard de la formation et invoquent les risques encourus. Ils considèrent bien souvent que la qualification et la compétence de ces catégories de personnel ne sont pas améliorées par la formation. Ils n'ont en outre pas confiance dans les motivations et les capacités personnelles à suivre une formation, surtout pour les jeunes, en raison de fortes résistances à tout nouvel apprentissage. Enfin, ils estiment que leur formation risquerait de rompre "l'équilibre social" de l’entreprise. Un salarié formé pourrait prétendre à une augmentation ou à un poste plus qualifié que l'entreprise ne serait pas en mesure de lui fournir.

La démarche formation n'a bien sûr pas le même poids dans les petites entreprises et dans les grandes. Et les PME-PMI mettent l'accent bien souvent sur la valeur affective de l'environnement professionnel pour les illettrés.

Les attitudes des chefs d'entreprise face à l'illettrisme sont loin d'être homogènes. Ils justifient leur non-intervention en l'attribuant tout à la fois au dysfonctionnement du système éducatif français, à la mauvaise volonté des illettrés, voire encore à l'incapacité de certains individus à apprendre. Leur manière de l'appréhender dépend tout à la fois de leur âge, de leur condition, mais aussi' des relations qu’ils entretiennent avec les salariés. Les extrémistes se scindent en deux camps. L'un, positif et ouvert, affirme qu'il faut encourager ces laisser pour compte à se prendre en charge. L'autre, sceptique, estime qu'ils sont très bien comme ça. Entre les deux, la majorité accorde un avenir aux plus jeunes, motivés et dotés de bon sens, mais reconnaît que ce qu'elle attend de ces personnels est qu'ils fassent leur travail.

Dans l'ensemble, les chefs d'entreprise reconnaissent que les salariés illettrés ne sont pas dépourvus de toutes les qualités. Ils développent, par exemple, différents palliatifs comme une excellente mémoire. Mais pour autant, ces compensations ne constituent pas en soi des solutions et ne remplacent pas une formation. A condition - et cela fait 1'unanimité - qu'elle soit adaptée à leur problème et intégrée à une stratégie à long terme.