14- L'illettrisme en entreprise : un phénomène tabou

141- Les salariés en situation d’illettrisme se cachent

Les salariés en situation d’illettrisme cachent souvent leur “ handicap ” dans leur entreprise en adoptant des stratégies de contournement. Certains par exemple s'arrangent pour que leur handicap ne soit pas révélé dans leur milieu de travail car ils vivent cette situation comme une honte. Ces stratégies consistent pour eux à se créer leur propre univers de références et leurs propres moyens de détection et de régulation des dysfonctionnements. Pour cela, ils évitent ou même rejettent l'utilisation de documents écrits susceptibles de révéler leurs difficultés et se servent de leur expérience pour donner l'illusion d'une maîtrise des opérations. C'est souvent à l'occasion de changements dans l'organisation et le contenu du travail ou de l'introduction de nouvelles technologies que se révèlent des situations d'illettrisme insoupçonnées jusqu'alors. Dans certains cas, seul l'encadrement de proximité avait connaissance des difficultés de lecture ou d'écriture de certains employés et compensait cette lacune en prenant lui-même en charge une partie du travail. Ce comportement constitue un glissement de fonction et une gêne pour assurer les tâches qui relèvent réellement de la fonction d'encadrement, même s'il est jugé valorisant.

Dans certains cas, des salariés en situation d'illettrisme s'adressent à l'insu de leur employeur à des organismes de formation à l'extérieur de l'entreprise par peur que leur handicap soit découvert.

142- Les entreprises cachent les situations d'illettrisme et ne savent pas comment s'y prendre

Même lorsque les membres de la direction connaissent l’existence de salariés illettrés ou analphabètes, ce qui n’est pas toujours le cas559, ils n’aiment pas en parler car ils jugent cela à la fois dévalorisant pour leur image, voire risqué pour l’obtention ou le renouvellement de la certification qualité. Une autre raison expliquant le fait que les entreprises occultent l'illettrisme est qu'elles ne savent souvent pas trouver des méthodes adaptées et peu coûteuses pour remettre à niveau les personnes illettrées. En outre, elles manquent d’informations sur les possibilités d’aides financières pour la réalisation d’actions de formation de remise à niveau.

Le résultat de ce manque de prise en compte explicite du problème de l’illettrisme est que la plupart des entreprises excluent les personnes illettrées, soit en les faisant partir en priorité lors des plans sociaux, soit (surtout) en évitant de les recruter. On pourrait ainsi annoncer la résolution progressive du problème de l’illettrisme en entreprise par le fait d’une externalisation quasi-totale des personnes illettrées. Nous pouvons ajouter à cela qu’en France, la plus grande partie des budgets de formation est focalisée sur les cadres et techniciens ce qui tend à accroître l’écart entre le personnel hautement qualifié et ceux de bas niveau de qualification.

143- Les syndicats se sentent peu concernés

La faiblesse de la représentation syndicale et les caractéristiques des relations sociales en France ont jusqu’à maintenant contribué à mettre de côté le problème des personnes illettrées et de faible niveau de qualification. D’une manière générale, les thèmes dominants défendus par les syndicats portent plutôt sur les salaires, la durée et les conditions de travail ou les classifications plutôt que sur la formation560 malgré l’existence d’une commission formation au sein des Comités d’Entreprise.

Plusieurs raisons ont pu être avancées pour expliquer cette lacune. La première est que les syndicats et les instances de représentations du personnel mettent d’abord en avant les revendications de leurs adhérents, ce qui ferait passer au second rang la défense de l’emploi et des personnes en voie d’exclusion. Une autre raison est qu’à l’instar des dirigeants, les syndicats ne sont pas suffisamment informés sur les méthodes et les aides adaptées pour remédier à l’illettrisme en entreprise.

Notes
559.

Voir par exemple le cas de l’enquête publiée par « Partenaires », n°48 le 1er février 1994 montrant que la plupart des responsables de PME ne distinguent pas les situations d’illettrisme des situations d’analphabétisme et sont dubitatifs sur les possibilités de faire évoluer les salariés faiblement qualifiés.

560.

Voir par exemple le cas d’une enquête de la SOFRES parue dans « Entreprises et carrières », n°429 du 07 avril 1998 où 70 % des salariés interrogés pensent que la formation n’est pas la priorité des syndicats.