22- Aides et incitations

Les actions de formation des salariés en situation d'illettrisme menées dans les entreprises, présentent pour la plupart les deux caractéristiques suivantes :

  • Elles sont souvent isolées, voire clandestine car l'entreprise ne souhaite pas en faire la publicité pour les raisons déjà évoquées. Il en résulte qu'il y a très peu d'échanges d'expériences et que les entreprises cherchent à imaginer des solutions artisanales sans recourir à une ingénierie d'intervention structurée.
  • On observe également qu'il y a peu de cas d'articulation entre les interventions menées en entreprise et les actions de soutien qui auraient pu être menées à l'extérieur de l'entreprise.

Dans ce contexte, on peut se demander si l'Etat peut jouer un rôle approprié pour stimuler les actions de formation.

221- Effets pervers de l'exclusion des salariés en situation d'illettrisme

2211- Effets sur les salariés exclus "assistés"

Les salariés en situation d'illettrisme victimes de licenciements, compte tenu de ce que nous avons dit dans la première partie, ont peu de chance de retrouver un emploi et font souvent partie du noyau dur des chômeurs de longue durée. Or on peut évaluer à plusieurs millions de francs les coûts supportés par la collectivité lorsqu'une personne de trente ans n'ayant jamais eu vraiment l'opportunité de travailler, a perdu le peu d'usage qu'elle avait de l'écrit, et qu'elle est entraînée dans un processus d'exclusion avec un très faible espoir de se réinsérer. Cette exclusion du monde de l'entreprise a également des conséquences négatives au niveau de l'équilibre social et familial de la personne. Dans une approche plus macro-économique, ces conséquences se font ressentir au niveau de la part du budget de l'Etat consacrée aux ASSEDIC, à l'ANPE, à la Sécurité Sociale et même à l'Education Nationale.

2212- Effets sur la performance de l'entreprise

Le licenciement de personnes en situation d'illettrisme, notamment dans le cadre de plans sociaux, fait en apparence économiser aux entreprises des charges de personnel et leur permettent de réallouer ce budget soit à l'embauche d'autres personnes mieux formées, soit à l'externalisation de certaines fonctions.

Toutefois, les entreprises concernées ne sont pas toujours conscientes des coûts cachés et des dysfonctionnements induits par ces pratiques. Parmi ces coûts cachés, on peut notamment citer ceux liés aux déperditions de savoir faire et à la désorganisation qui engendrent notamment des non qualités et des pertes de temps. Certaines évaluations de l'ISEOR ont montré que les économies de coûts visibles étaient anéanties par l'augmentation de coûts de dysfonctionnements576. Compte tenu des surcoûts induits par l'exclusion des personnes en situation d'illettrisme non seulement sur les entreprises mais aussi sur la société, il paraît nécessaire de réfléchir à une meilleure utilisation des dispositifs incitatifs en faveur de la remise à niveau des personnes en situation d'illettrisme.

222- Les dispositifs incitatifs

On constate qu’il n’existe aucun dispositif incitatif spécifique au traitement de l’illettrisme en entreprise. Pourquoi cet absence ?

Pour plusieurs raisons :

  • Tout d’abord parce qu’on assimile dans la majorité des cas les illettrés à des personnels de Bas Niveaux de Qualification, à des salariés rencontrant des difficultés (dans un sens global) par défaut de compétences dans leur travail,
  • Ensuite parce que les illettrés ne sont pas reconnus ou connus en tant que tels dans les entreprises. On constate que les entreprises ne sont pas toujours conscientes qu’il existe une population illettrée en leur sein.

Les dispositifs d’aide ne sont donc jamais destinés spécialement aux illettrés qui sont dès lors assimilés à la masse des salariés faiblement qualifiés à la recherche de nouvelles compétences. On peut cependant distinguer parmi tous les dispositifs d’aide possible pour une entreprise ceux les plus sujets à répondre aux besoins des salariés en situation d'illettrisme.

223- Préconisations

MESURES INCITATIVES AVANTAGES INCONVENIENTS
- Information et sensibilisation par les instances de l’Etat sur les dispositifs existants. - Sensibilisation des entreprises sur les possibilités d’aide,- Augmentation du nombre de formations de remise à niveau. - Afflux de demandes, croissance des dépenses publiques, lourdeur de gestion des dossiers,- Emergence de comportements opportunistes de la part de certains entrepreneurs.
- Favoriser les aides dans les PME/PMI pour développer l’effort d’insertion professionnelle par exemple en simplifiant les procédures administratives ou en accordant des facilités fiscales. - Développement d’actions de proximité en adéquation avec les besoins des salariés les plus en difficulté et des entreprises,- Développement d’actions moins coûteuses en termes de temps et de moyens. -Emergence de comportements opportunistes.
- Développer les emplois de proximité. - Facilite l’accès au travail,- Limite les comportements marginaux. - Développement d’emplois instables ou peu gratifiants.
- Développer les incitations de partenariat ou les incitations financières pour les acteurs présents sur le marché de la formation et oeuvrant pour l’insertion professionnelle. - Rapprochement entre les organismes de formation et les entreprises, - Meilleur adéquation entre les formations proposées et les besoins des personnes en difficulté,- Croissance des capacités d’accueil et de travail des organismes de formation. - Emergence de comportements opportunistes de certains organismes
‘"Dans ce contexte, toute action rapide et/ou facile comme les subventions risquent d'être inefficace voire contre-indiquée et l'effet incitatif des aides financières serait moins évident que leur effet pervers"577.’

Pour être plus efficaces et connaître un impact plus important, il conviendrait en fait d'intégrer davantage ces dispositifs dans les logiques de rentabilité et de productivité, qui sont celles des entreprises. Les mesures devraient intégrer en particulier les intérêts des entreprises d'un point de vue économique (coût/bénéfice) et stratégique (face à la concurrence). "Les entreprises se montreront vraisemblablement plus disposées à offrir une formation si elles sont autorisées à traiter l'accumulation du capital humain comme un investissement, au même titre que les équipements, par exemple par des dispositions prévoyant que les investissements consacrés à la formation seront déductibles de l'impôt"578.

Notes
576.

M. BONNET et J.H. COSTE, "Gestion des entreprises après un plan de restructuration : vers une approche globale du conseil en management fondée sur des expérimentations socio-économiques", 1998.

577.

D.C. LAMBERT, "L'Etat Providence en question", Economica, Paris, 1990, 226 p., p. 113.

578.

B. STEVENS, W. MICHALSKI, in Problèmes économiques - n° 2.396-2.397 - 2-9 novembre 1994.