Selon l’Encyclopédie Encarta, un proverbe est une affirmation concise, d’usage commun, exprimant des croyances répandues, des vérités empiriques et des conseils populaires. L’attitude des adultes vis-à-vis des jeunes, des parents vis-à-vis des enfants, des aînés vis-à-vis des cadets, leurs connaissances empiriques et leur science concrète sont codifiées en de nombreuses sentences, proverbes, que l’on cite pour justifier telle manière de procéder ou pour faire passer tel ou tel enseignement. Les affirmations tranchées de l’une sont tempérées par celles de l’autre, ainsi on arrive à une vue bien nuancée des choses. Les connaissances et la science traditionnelles sont rythmées parce que les rythmes ont le rôle physiologique profond de faciliter la mémorisation32.
De par sa brièveté, le proverbe a le grand le mérite de pouvoir s’enseigner et s’apprendre en peu de temps, à tout moment de la journée et à propos de tout. ‘« Ce serait, en effet, une erreur de croire que le milieu familial, du fait qu’il s’adonne à un métier manuel, est un milieu d’ignorants. La tradition proverbielle, ici, n’est pas une science surajoutée. C’est une science incarnée et pratique qui jaillit des gestes quotidiens : elle en est la régulation ethnique et la codification perdurable. C’est une science essentiellement ‘paysanne’, en ce sens qu’elle s’appuie sur les gestes du ‘pays’, de la terre ancestrale’ »33.
Le proverbe spontané et balancé est le prototype du schème rythmé et des formules traditionnelles. Il est fait ainsi non pour être avant tout esthétique, mais pour se retenir facilement. Dans les proverbes on trouve plusieurs sortes de balancements.
Il y a des balancements binaires :
Wacimwena pale pabwipi waciya lubilu
De loin c’est tolérable, mais quand on le voit de près c’est insupportable.
Twasakidila ki nkupa mbilengela wapaku
Remercier n’est pas donner il est bon de donner aussi
Balancements ternaires :
Watwisha mukana kutwishi kele mukana mwetu emu mmutudiladila
Aiguise la bouche n’aiguise pas le couteau c’est la bouche qui nous permet de manger
Twakwilangane wa muoyo wakwila mufwe nkala mu mayi wakwila nshisha
Plaidons les uns pour les autres, le vivant pour le mort, le crabe dans l’eau pour la crevette
Balancement du double bilatéralisme :
Wapa kanyunyi wapa kazolo byenza kazolo ne kabwele kanyunyi ne kaye kwabo
Donne à l’oiseau donne également au poulet un jour le poulet te tirera d’affaire tandis que l’oiseau s’envolera
Le proverbe balance pour rapprocher et du même coup pour contraster.
Kubika ne lulengu nkulala ne nzala. Se lever dans la paresse, c’est se coucher affamé.
Wa mudimuke umvwile ku nkindi wa mupumbe bamusapwile
L’intelligent comprend à demi-mot le sot attend qu’on lui explique tout
Contraster permet également d’ordonner, de classifier. Qui dit opposition, dit par le fait même rapprochement et nous aurons des oppositions qui rapprochent. Les rapprochements permettent des découvertes comme l’estimait Laplace : « ‘les découvertes consistent dans des rapprochements de faits susceptibles de se joindre et qui ne l’avaient jamais été jusqu’ici’ »34. Dans les proverbes, on oppose pour rapprocher et du même coup on découvre et on classifie. Mais il faut bien relativiser. Ce sont des découvertes bien limitées parce qu’on ne se livre pas à la vérification et à l’expérimentation. Et de plus on suit le cours de la nature et on reste enfermé dans son monde.
Pour Jousse qui a étudié les peuples de style oral, les proverbes, avec leurs balancements parallèles et leurs éléments internes, surgissent tout naturellement de l’organisme. Ils vont dans le sens des lois profondes du composé humain. C’est pourquoi ils sont naturellement mnémoniques, c’est-à-dire que d’eux-mêmes, à l’insu même du sujet parlant, ils permettent la mémorisation. C’est ainsi que ces schèmes rythmiques spontanés sont utilisés dans tous les milieux ethniques comme des instruments didactiques tout préparés. Les proverbes sont comme, pour ainsi dire, des ‘patrons’, des modules, des schèmes types, grâce auxquels sont improvisées les compositions de compositeurs de style oral. Le rôle des différents rythmes qui jouent dans ces schèmes rythmiques est surtout utilitaire, didactique35. Les enfants et les adultes se balancent, reçoivent ou se font des petites mouillettes balancées et structurées pour mieux ingurgiter le savoir.
Le conte, selon le dictionnaire, est un récit assez court d’aventures imaginaires. En effet le conte met en scène une société fictive d’êtres surnaturels, d’hommes et d’animaux. Il est un des modes d’expression de la pensée, un reflet d’une civilisation. Au Kasaï, comme d’ailleurs partout en Afrique, il est aussi un moyen d’éducation non seulement pour les enfants mais aussi pour les adultes. A ce propos Erny écrit : « ‘C’est par la transmission orale du patrimoine littéraire que se réalise une part capitale de l’éducation, touchant aussi bien à la formation intellectuelle que morale. Par leur beau langage et leur art de manier la parole, les conteurs familiarisent la jeunesse avec un vocabulaire, des tournures grammaticales et des intonations recherchées, peu usitées dans la communication courante. Les enfants prennent un plaisir particulier à réentendre leurs contes favoris présentés dans les mêmes termes, avec les mêmes gestes et les mêmes modulations de voix »36.’
Les séances de contes ont lieu la nuit, au clair de la lune, autour du feu de bois ou d’une lampe. Il est défendu de faire les contes le jour, très probablement pour éviter la paresse et le farniente. Dans les contes, les héros peuvent être aussi bien des adultes que des enfants. Beaucoup de contes ont des enfants comme héros. Et les sujets des contes sont très divers. Il est des contes qui s’adressent exclusivement aux enfants, d’autres spécialement aux adultes, certains aux adultes et aux enfants simultanément et de façon imbriquée ; quelques uns sont sans destinataire.
Concernant le chant héroïque du Kasaï, kasala, Faïk-Nzuji écrit : « ‘Le ’ ‘kasala’ ‘ (’ ‘tusala’ ‘ au pluriel) est un long poème qui évoque les différentes personnes et événements d’un clan, exalte par de grandes louanges ses membres défunts et/ou vivants et déclame leurs hauts faits et gestes. Ces événements, personnes et hauts faits, y apparaissent dans l’ensemble en petites unités narratives ou descriptives achevées, présentant apparemment peu de liens entre elles ’»37. Chaque clan a ses héros morts ou vivants. On se raconte et on célèbre leurs hauts faits le soir autour du feu et dans diverses circonstances de la vie.
Ce poème peut être chanté ou déclamé dans diverses circonstances de la vie des individus qui font partie de ce groupe. On chante ou déclame le kasala dans le deuil, dans le moment de joie de toutes sortes pour honorer la mémoire des anciens, exalter ceux qui sont à la base de ces événements de joie et même l’assistance ; on fait le kasala au travail, au combat pour soutenir le moral des combattants, dans les heures de solitude et de tristesse pour trouver consolation... Dans tous ces cas de figure, « ‘le ’ ‘kasala’ ‘ déclame toujours les hauts faits et gestes et fait surgir du passé les visages des héros qui ont illustré l’histoire du groupe’ »38.011
Pour le conte comme pour le chant héroïque, le rapport aux choses n’est pas immédiat, il est déjà interprété par le groupe, la tribu et la société fermée. L’éducation consiste uniquement à faire reproduire chez l’enfant ce qui est déjà élaboré par la société. Elle n’est qu’une socialisation. « ‘Le passé, note Erny, est un guide sûr pour le présent : les vues sont plutôt rétrospectives que prospectives, et c’est en arrière que l’on trouve les modèles adéquats auxquels se conformer ’»39. On ne sait pas, en partant du passé, mettre en à jour de nouvelles combinaisons et tracer de voies neuves dépassant et améliorant les connaissances et les comportements du passé.
Qu’il s’agisse du conte ou de kasala, deux aspects sont décelables à savoir l’aspect ludique et l’aspect éducatif. Le conte et le kasala divertissent en instruisant et instruisent en divertissant. Et Léopold Sédar Senghor de dire : “La fable et même le conte sont des genres gnomiques : ils visent à l’éducation. (....) Mais pour éduquer, le conte et la fable doivent charmer”40. L’éducation se fait donc tout naturellement et sans contrainte. On la désire même et on la recherche.
JOUSSE (M.), L’anthropologie du geste, p. 267.
JOUSSE (M.), Le parlant, la parole et le souffle, p. 222.
JOUSSE (M.), L’anthropologie du geste, p. 265.
JOUSSE (M.), L’anthropologie du geste, p. 266.
ERNY (P.), op. cit., p. 170.
FAÏK-NZUJI (C.), Kasala chant héroïque luba, Lubumbashi, P.U.Z., 1974, p. 21.
FAÏK-NZUJI (C.), pp. 22-23.
ERNY (P.), op. cit., p. 26.
N’DAK (P.), Le conte africain et l’éducation, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 160.