Expérience sans conceptualisation.

Dans l’éducation traditionnelle, l’enfant est amené à faire l’expérience mais une véritable conceptualisation manque. L’éducation traditionnelle du Kasaï sollicite constamment l’expérience de l’enfant. L’enfant voit, manipule, expérimente, agit, et s’exprime. Son activité dans son entourage est constamment sollicitée. L’éducation est vivante et concrète. L’école traditionnelle est l’école de la vie et pour la vie. Le ressort de son efficacité réside dans le lien constant qu’elle entretient avec le vécu. Les savoirs dispensés sont des savoirs utilisables dans la société du Kasaï. Ils sont inculqués par le truchement des exercices pratiques. Mais il faut le reconnaître, dans cette éducation il n’y a pas de place pour des connaissances purement théoriques. Les savoirs traditionnels sont statiques.

Dans la pédagogie traditionnelle l’enfant explore son milieu et l’observe. Il acquiert une connaissance non négligeable de son environnement. Il observe et connaît les herbes, les plantes comestibles et vénéneuses, les arbres et leur utilité, les poissons, les animaux, les oiseaux de son milieu. Il sait les ruisseaux et rivières, les sentiers, les brousses et les limites de son clan. Il apprend à connaître également son environnement humain, le monde des choses fabriquées... Il apprend l’histoire des Anciens : les migrations, les conquêtes, les guerres tribales... Il connaît les dépositaires du pouvoir ancestral, les rites et les secrets de la communauté auxquels il doit respect. « ‘Au cours de sa croissance, fait remarquer Kenyatta, l’enfant accumule sans cesse une masse de connaissances. L’extrême liberté qui lui est accordée lui permet de recueillir toutes sortes de renseignements sur le milieu ambiant. Il n’est pas gêné par un enseignement rigide et formel qui n’a souvent que peu de rapports avec ses véritables intérêts et besoins... (L’enseignement) a pour but de donner des connaissances pratiques, il est entièrement conditionné par la conduite que l’enfant aura à tenir ; on lui apprend à exécuter ce qui lui est demandé en telle ou telle occasion et on ne lui permet pas de faire ce qui n’est pas encore à sa portée’ »60. L’homme traditionnel dispose certes d’un savoir, mais celui-ci reste à l’intérieur de sa condition, régulé par les besoins et leur satisfaction naturelle ; ses concepts ne sont pas détachés de leurs significations sensibles immédiates.

L’éducation traditionnelle est caractérisée par un faible niveau d’abstraction et de généralisation. En matière d’éducation, comme d’ailleurs en d’autres matières, les villages vivent repliés sur eux-mêmes. Le familier est pris pour le raisonnable et l’habitude pour la certitude. On ne cherche pas à savoir ce qui se passe dans d’autres familles, dans d’autres villages pour coordonner et redynamiser l’action éducative. Les gens demeurent traditionalistes, ils ne cherchent pas à faire évoluer leurs pratiques. L’ouverture aux autres peuples du Congo est infinitésimale. On est enfermé dans son environnement.

En somme, on ne peut pas soutenir que dans l’éducation traditionnelle les éducables n’ont pas de concepts et de connaissances. Ils en ont. Mais ce sont des concepts et des connaissances sensibles qui ne peuvent pas quitter leur premier empirisme. Ils sont centrés sur les propriétés et les fonctions des objets. Ces connaissances et concepts ne se rapportent qu’à quelques situations et ne peuvent évoluer. On n’essaie pas d’établir des relations entre divers paramètres, et on ne passe pas à des modèles explicatifs ayant vocation à la généralité. Ce qui permettrait une évolution des connaissances.

Notes
60.

KENYATTA (J.), op. cit., p. 84.