B Échecs et déperdition scolaires

Le système scolaire exclut beaucoup d’enfants et d’adolescents. Beaucoup de ces derniers quittent l’école sans aucune qualification leur permettant de s’insérer dans leur milieu. Qu’il nous soit permis de donner quelques chiffres qui parlent d’eux-mêmes.

Regardons la pyramide scolaire du Congo pour l’année 1962-1963. Par pyramide scolaire on entend la répartition des élèves selon l’âge de part et d’autre d’un axe vertical. Elle montre la proportion des enfants qui sont, ou ne sont pas scolarisés aux différents âges. Cette pyramide est ramenée à un million d’habitants89.

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Dans la revue Afrique Contemporaine, Isabelle Deblé donne l’évolution des taux d’inscription bruts (par période quinquennale) de 1960 à 1990. Le taux d’inscription brut est le rapport entre les effectifs scolaires, quel que soit l’âge des élèves, et la population du groupe d’âge qui correspond au niveau de scolarité indiqué90.

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Pour donner une idée des abandons et échecs scolaires dans les écoles du Congo, nous citons un texte des inspecteurs91 qui ont travaillé longtemps au Kasaï et qui se sont posé ce problème de la déperdition scolaire. « ‘En 1976, l’effectif d’élèves en C.O. (Cycle d’orientation) représente à lui seul 55 % de l’effectif du Secondaire (276.918 élèves sur 506.848) ; les 1ères C.O. drainent alors 32,6 % du total Secondaire et 59,3 % du total C.O. ; quant aux 2è C.O., elles accueillent 22,4 % du total Secondaire et 40,7 % du C.O. Les classes de 3è, pour une capacité de 60.000 places, représentent alors 21,7 % de l’effectif de C.O., 51,4 % de l’effectif inscrit en 2è C.O., et 11,8 % du total du Secondaire.’

‘011« ‘En 1988, les mêmes proportions apparaissent au niveau des classes de C.O., qui ont 55,8% de l’effectif du Secondaire :
- 1ère C.O : 60,6 % du total C.O., 33,8 % du total Secondaire ;
- 2ème C.O. : 39,4 % du total C.O., 22 % du total Secondaire.
Seuls les effectifs de 3è connaissent une relative amélioration : 75, 7 % des effectifs de 2è Secondaire sont en 3è, soit 29,8 % du total C.O. ou 16,7 % du total Secondaire. Les 361 253 inscrits en 1ère Secondaire comprennent 17 % de redoublants, soit près de 61.413 élèves’.’ ‘011« Cela signifie que, depuis 1976, plus de la moitié des élèves du niveau Secondaire (55 % à 56 %) se trouvent en 1ère et 2è Secondaires, et le tiers de tout l’ensemble Secondaire (32 à 34%) n’est qu’en 1ère année. Autrement dit : sur 100 élèves du Secondaire, 56 ne sont qu’en 1ère et 2è années, et environ 17 en 3è ; les 23 restant sont distribués entre les 4è, 5è et 6è années »92.’

En sixième secondaire, beaucoup d’élèves ne réussissent pas à décrocher le diplôme d’Etat. Il n’est, pour s’en rendre compte, que de regarder ce tableau des résultats des examens d’Etat, présentés pour obtention de diplôme de fin d’enseignement secondaire93.

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A regarder ce tableau de près, il apparaît que, de 1967 à 1989, le rendement moyen à l’Examen d’Etat est de 45,6 %. Donc 54 % de tous ceux qui sont arrivés en dernière année du Secondaire durant 22 ans, n’ont pas décroché le diplôme d’Etat pouvant leur permettre d’exercer un métier dans la société Congolaise.

Pour étayer davantage ces propos sur les résultats médiocres du système scolaire du Congo, que l’on nous permette de citer encore le texte des inspecteurs qui se sont interrogés sur l’Enseignement au Congo : “‘En septembre 1976, 971.245 enfants furent reçus en 1ère Primaire ; 392.104 d’entre eux atteindront la 6è Primaire en 1981-82 (40 %), dont 27 % obtiennent le certificat (C.E.P.). Ils ne seront plus que 52.715 à obtenir le diplôme d’Etat en 1988, soit 5,4 % de la cohorte redoublants inclus.(...).’

‘011« En ajoutant aux 52.715 lauréats de l’Examen d’Etat 1988 quelques 18.000 brevets et certificats des cycles courts, nous obtiendrons un total évalué à près de 70.000 jeunes récupérés par le système en 1988, sur une approximation de 971.245 élèves reçus en 1ère année Primaire douze ans plus tôt, soit 7,3 % de la cohorte, redoublants compris. Déperdition : 92,7 % entre la 1ère Primaire et l’issue du Secondaire »94.’

Aujourd’hui la situation est encore plus dramatique. Beaucoup d’enfants ne savent pas étudier non seulement à cause d’échecs scolaires, mais aussi à cause de crise que traverse le pays. L’Etat Congolais ne paye plus ses fonctionnaires. Les parents payent non seulement les frais scolaires, mais aussi les enseignants. Les plus modestes d’entre eux n’envoient pas leurs enfants à l’école.

D’autres causes de la déperdition scolaire sont les classes surpeuplées, les locaux de fortune, le matériel didactique insuffisant ou inexistant, le manque de fournitures classiques, la sous-qualification des enseignants, le manque d’encadrement parental, la pauvreté matérielle et mentale... Nombre d’enfants et d’adolescents abandonnent l’école pour se vouer à des activités lucratives.

Au total, l’école du Kasaï en particulier et du Congo en général est l’école d’une minorité. Elle ne prend pas en charge tous les enfants scolarisables. Et ce n’est pas tout. L’école génère le chômage et l’effritement des valeurs. C’est l’objet du volet C qui suit.

Notes
89.

LE THANK (Khoï), op. cit., p. 59.

90.

DEBLE (I.), “Différenciations ou uniformisations ?”, in Afrique Contemporaine, n° 172, 1994, p. 14.

91.

WAKWENDA (B.) et KABAMB’A (T.), L’enseignement s’interroge ! Cas du Zaïre, texte inédit, 1992, 71 p.

92.

WAKWENDA (B.) et KABAMB’A (T.), op. cit., pp. 13-14.

93.

Annuaire Statistique 87-88, pp. 222-223. Statistiques de l’Examen d’Etat, Session 1982 à 1989, I.G.E., cité par Wakwenda et Kabamb’a, p. 7.

94.

WAKWENDA (B.) et KABAMB’A (T.), op. cit., pp.16-17.