CONCLUSION

Au cours de cette première partie, nous avons analysé les deux composantes de l’éducation au Kasaï à savoir l’éducation traditionnelle et le système scolaire. Tandis que l’éducation traditionnelle immerge dans la nature, le système scolaire est le règne d’une abstraction sans enracinement. Dans l’éducation traditionnelle les apprenants sont nez dans l’environnement, et à l’école on se satisfait de savoirs coulés dans les mots sans rapport avec l’environnement des apprenants. Dans l’éducation traditionnelle les éducables voient, manipulent, entendent les choses, font des expériences, découvrent par leur activité alors qu’à l’école on se contente de faire réfléchir les enfants en faisant l’économie de leurs conditions d’existence. Tandis que l’éducation traditionnelle est fondée sur le besoin et l’intérêt des éducables, l’école dispense des savoirs que les apprenants ne savent pas utiliser dans leur vie au quotidien. L’école s’évapore dans l’universel et l’éducation traditionnelle se satisfait des particularités.

En faisant ce tableau, nous n’avons pas insinué que le système scolaire est à mettre sur le même pied que l’éducation traditionnelle. Au regard de ce qu’il a fait du Congolais en général et du Kasaïen en particulier, des acquisitions de l’humanité et des sciences auxquelles il a accès, le système scolaire est une avancée certaine par rapport à l’éducation traditionnelle. Si nous nous sommes davantage pris aux limites du système scolaire, c’est dans le but de chercher à le rendre plus efficient. Car à notre sens, pour la formation de ses enfants, le Kasaï n’a pas d’autres alternatives en dehors de l’école.

Ce que nous avons dit au cours du deuxième chapitre peut être résumé d’une certaine mesure par ce que dit le rapport final de 1996 des Etats généraux de l’Education voulus et recommandés par la Conférence Nationale Souveraine (1991-1992) qui ont rassemblé à Kinshasa 500 membres dont des personnalités du monde éducatif et des délégués de toutes les institutions du Congo (Zaïre en ce moment là) et de certains organismes internationaux comme UNESCO : ‘« Il existe, note le rapport, un fossé entre la nouvelle société à bâtir et le Système Éducatif actuellement en vigueur au Zaïre. La crise, à la fois profonde et multiforme, qui frappe de plein fouet la société Zaïroise, n’a pas épargné le Système Educatif national. La déliquescence des valeurs morales couplée avec la dégradation des conditions de vie matérielle ont fini par imprimer à notre Système Educatif un visage insoutenable. Cette situation a produit, par effet d’entraînement, une déperdition scolaire accrue à tous les niveaux et une dépréciation notable du produit de l’enseignement. De plus, notre Système Éducatif est atteint par la limite d’âge, les programmes datent de plus de vingt ans, l’équipement n’a pas suivi l’évolution technologique et la formation des formateurs n’a plus évolué favorablement’ »120. Dans ces conditions, se contentant des apprentissages sociaux et de l’ensemble des résultats acquis par l’humanité enfermés dans les mots, ne favorisant pas la curiosité, le contact avec les choses, l’intérêt et l’esprit de recherche et d’inventivité des apprenants, l’école du Kasaï est loin de permettre l’émergence d’individualités à même de mettre la société du Kasaï sur le chemin de la maîtrise de ses conditions d’existence.

Tout compte fait, ce n’est pas une exagération que de dire que le système scolaire actuel au Kasaï est dans l’impasse. Ce système, nous l’avons hérité de la colonisation et de l’Occident. Mais en Occident même, il y a eu des individualités et des courants contestataires qui ont voulu renouer avec l’environnement. L’encyclopédisme, l’intellectualisme et le fait que les apprentissages sont présentés déconnectés des situations qu’ils permettent de résoudre comme s’ils étaient à eux seuls une finalité, ont été mis en cause par des pédagogues de l’Education nouvelle. En Occident on ne cesse de se gendarmer contre l’école coupée de l’environnement des apprenants, et l’on se préoccupe des connaissances qui servent à ajuster leur action.

Au cours de la deuxième partie qui suit, nous allons chercher des éclairages chez certaines personnalités qui ont poussé l’humanité en avant par leurs réflexions et créations. A la faveur de certains philosophes nous tenterons de comprendre ce qu’est la connaissance, d’où elle vient et comment elle peut s’acquérir. Et avec quelques auteurs de l’Education nouvelle qui ont contesté l’abstractionnisme du système scolaire en Occident et la froideur de ses savoirs, nous chercherons à savoir comment ils ont construit et organisé leurs dispositifs pédagogiques.

Notes
120.

Rapport final des Etats Généraux de l’Education, publié à Kinshasa, 1996, point 1.1, pp. 8-9.