A La prise en compte de l’environnement social dans l’apprentissage

Selon Célestin Freinet, l’école doit être reliée à la vie. L’on doit découvrir les grandes lignes de la vie, les forces souterraines essentielles qui seront les leviers indispensables pour les apprentissages. L’école doit puiser dans la vie, dans le passé, dans le présent pour pouvoir construire l’avenir ; « ‘une science, une philosophie, une éducation, écrit Freinet, qui prétendraient se couper de ces racines puissantes et déterminantes risqueraient fort de faire fausse route’ »302. Les théories même les plus généreuses sont mortelles pour les individus comme pour les peuples si elles ne sont que des constructions de l’esprit sans assises suffisamment solides sur les réalités.

Pour Freinet, “Le penseur moderne, et encore moins le pédagogue, ne peuvent plus se réfugier dans une tour d’ivoire d’où tombent les oracles ; ils doivent vivre avec leur temps, penser et souffrir avec leurs congénères, sentir et comprendre les situations individuelles et sociales telles qu’elles sont, dans leur inextricable brutalité parfois, voir ce qui est, et, sur ces données effectives, construire une technique de vie”303. C’est méconnaître complètement le fond de la nature humaine que de faire l’économie de toutes les préoccupations qui, nobles ou non, n’en constituent pas moins la trame normale de l’existence.

L’école a voulu de propos délibéré négliger toutes ces questions, les considérant comme terre à terre, et a prétendu transposer d’un coup, comme par enchantement, les individus dans une zone idéale où règne le pur esprit. L’enfant ne saurait être considéré à l’origine comme un être pensant et philosophant. Sa fonction, sa raison d’être est d’abord de vivre. Il va de soi qu’il ne peut vivre que dans le présent, au gré des contingences nées de la vie, du travail des parents et de l’organisation sociale.

Les contingences de la vie sont déterminantes pour la formation d’un être humain. C’est à partir d’elles qu’il faut construire. L’école doit oeuvrer à partir de l’enfant réel et du milieu qui décide de sa vie et nullement minimiser l’influence de ce milieu304. L’on doit prendre l’enfant non dans le milieu hypothétique et idéal qu’on imagine, mais tel qu’il est, avec ses imprégnations et ses réactions naturelles, avec ses virtualités insoupçonnées, sur lesquelles le processus éducatif sera fondé.

Pour Freinet, l’école doit être centrée sur l’enfant membre d’une communauté. C’est de ses besoins essentiels, en fonction des besoins de la société à laquelle il appartient que découleront les techniques manuelles comme intellectuelles, les matières à enseigner, le système de l’acquisition et les modalités de l’éducation305. Les enfants se doivent d’apprendre « ‘à conquérir et à dominer le monde autour d’eux dans le cadre même des exigences scolaires et sociales, voilà le programme que nous travaillons à réaliser et que nous sommes en mesure d’offrir avec succès aux éducateurs excédés de formalisme pédagogique’ »306, écrit Freinet.

Les enfants développeront leur personnalité au sein d’une communauté qu’ils servent et qui les sert. Cela n’enlève pas leur droit de vivre pleinement leur vie d’enfant, d’acquérir des capacités, d’avoir une formation intégrale de la personnalité. Pour Freinet, ces préoccupations ne doivent nullement être une finalité séparée de la grande fin sociale et humaine. Les pédagogues doivent viser la réalisation de l’harmonie individuelle dans l’harmonie sociale307.

L’on doit mettre au point un système éducatif mieux assis dans la vie, mieux adapté aux découvertes scientifiques et aux conditions économiques. ‘« L’école doit, au moins, écrit Célestin Freinet, s’adapter à son époque et répondre aux appels diffus d’un monde qui se cherche. Et il y a urgence’ »308. L’école doit être rendue efficace sur le plan intellectuel, mais aussi dans le vaste et complexe domaine du travail. A l’école scolastique, intellectualiste, il faut substituer diligemment une école qui puise dans le peuple, dans ses besoins, dans ses modes de vie, dans ses habitudes d’agir, de travailler et de penser. Ce sont là les racines vivaces qui assurent la dynamique de l’éducation.

L’on doit également rattacher cette formation à la grande pensée humaine, à tout ce que le progrès apporte de positif et de définitif309. Célestin Freinet écrit : “Il ne suffit pas de rejeter en bloc ou la tradition ou le progrès, mais d’adapter intelligemment notre comportement aux nécessités de notre époque. Il faut que nous trouvions, pour le proche avenir, des solutions qui s’appuient sur le présent réel, descendant et héritier du passé récent et de l’apport lointain des générations qui ont fertilisé notre sol, construit nos maisons, idéalisé notre langue et notre esprit. Le progrès doit se faire, pour ainsi dire, en fonction du passé, en évitant ce décalage dont nous mesurons les dangers, cette coupure qui nous a isolés de “notre” science en la privant de notre sève et de notre effort.

‘011« L’école pourra beaucoup pour cela. Mais il lui faudra d’abord connaître et juger à sa mesure ce présent et ce passé, découvrir ce qu’ils portent en eux de dynamique et de constructif, et faire surgir aussi les grandes lignes de vie, les essentielles forces souterraines qui seront les leviers indispensables pour les créations qui s’imposent »310.’

La tâche de l’école est d’instruire sans prétention, sans grands mots inutiles, sans protestations faussement idéologiques, mais en connaissant vraiment les buts à atteindre. Donner des connaissances et l’instruction technique sans tenir compte des considérations humaines, serait faillir à toutes les traditions de l’école. S’attacher par contre à une formation abstraite en négligeant cette initiation, serait trahir les espoirs que les hommes mettent dans l’école311. Les connaissances, l’instruction, l’initiation (car l’école doit préparer l’individu à des tâches de son milieu) ont besoin d’être dirigées, pliées aux nécessités supérieures de l’individu et du groupe.

Notes
302.

FREINET (C.), L’éducation du travail, Paris, Delachaux et Niestlé, 1967, p.55.

303.

FREINET (C.), op. cit., pp. 98-99.

304.

FREINET (C.), op. cit., p. 99.

305.

FREINET (C.), Pour l’école du peuple, Paris, Maspero, 1974, p. 19.

306.

In FREINET (E.), L’école Freinet réserve d’enfants, Paris, Maspero, 1979, p. 229.

307.

In FREINET (E.), op. cit., p. 231.

308.

In FREINET (E.), op. cit., p. 200.

309.

FREINET (C.), L’éducation du travail, p. 112.

310.

In FREINET (E.), op. cit., p. 122.

311.

FREINET (C.), L’éducation du travail, p. 81.