D Des techniques pour l’action

Par ses techniques, Freinet met les enfants en rapport avec leur environnement pour se perfectionner et construire leurs connaissances. Nous allons citer quelques unes de ces techniques qui enrichissent notre sujet, environnement et pédagogie de la connaissance.

A l’école Freinet, les élèves sont mis au contact de leur environnement par le travail pour qu’ils construisent des connaissances. Ils travaillent efficacement grâce à des outils, à une technique appropriée pour s’instruire, s’enrichir, se perfectionner, monter et croître. Il s’agit des travaux de champs, d’élevage, de menuiserie, de forge, de filature, tissage, cuisine, construction, commerce. Et l’école Freinet met à la disposition des élèves des outils appropriés. Par ces travaux, Freinet veut que les apprenants acquièrent des connaissances.

D’après Freinet, l’enfant suit le même chemin que l’adulte pour apprendre. L’adulte s’instruit dans les conjonctures les plus favorables. Il a une tâche sociale à remplir, un travail à faire, ce faisant il apprend s’il se sent organiquement lié à ce travail. ‘« Nous essayons, et nous essaierons, écrit Freinet, de réaliser dans notre école des normes semblables de travail. A la base, chaque enfant devra fournir régulièrement une tâche correspondant au travail adulte : les uns sont en apprentissage chez le menuisier de la ville, d’autres chez le forgeron et chez le cordonnier, d’autres travaillent aux champs - selon leurs goûts - besognes qui les placent dans la vie et leur donnent l’habitude de l’effort sérieux et productif ’»339

Pour la construction des connaissance, l’école Freinet favorise l’expérimentation, l’expérience des apprenants dans leur milieu. Elle n’habitue pas les enfants à se fier passivement à l’expérience des autres. Ils font leurs propres expériences, ils touchent, ils voient, ils cassent, ils malaxent, ils mettent la main à la pâte, ils sentent, ils contrôlent. « ‘L’étudiant lit, compulse, expérimente, réalise, invente, crée et, ce faisant, se saisit de la science et de la culture selon ses possibilités et ses besoins’ »340. Car, comme nous l’avons déjà dit, pour Freinet, la voie normale de l’acquisition n’est ni l’observation, ni la démonstration, ni l’explication, mais le tâtonnement expérimental ; et la mémoire ne fonctionne valablement que lorsqu’elle est intégrée au tâtonnement expérimental, lorsqu’elle est au service de la vie341. Le mot d’ordre de Freinet est : ‘« Laissez l’enfant tâtonner, allonger ses tentacules, expérimenter et creuser, enquêter et comparer, fouiller livres et fiches, plonger sa curiosité dans les profondeurs capricieuses de la connaissance, à la recherche, ardue parfois, de la nourriture qui lui est substantielle’ »342.

A l’école Freinet, l’on habitue les enfants, pour construire leurs connaissances, à douter, à se méfier des opinions reçues, fussent-elles autorisées, à se persuader, non pas par les assurances qui sont pour eux comme des professions de foi, mais par l’expérience qu’ils font eux-mêmes à l’aide de leurs sens et des outils qui en sont le prolongement mis à leur disposition343.

A l’école Freinet, le calcul et les sciences sont vivants, en relation avec ce qui se passe autour des élèves. Le calcul vivant s’inscrit dans les cycles des activités quotidiennes des enfants, dans leur rythme de vie. On donne aux enfants des exercices qui leur paraissent nécessaires et utiles, des exercices, des problèmes réels et concrets tirés de leur vie journalière.

On pousse les enfants à examiner méthodiquement autour d’eux les phénomènes naturels, à étudier les animaux et les plantes et réaliser eux-mêmes des fiches documentaires qui synthétisent leurs acquisitions. Et Freinet de noter : ‘« Nous pensons que les sciences doivent être exclusivement expérimentales. Ce sont des enfants eux-mêmes qui devraient créer leur pensée scientifique par des expériences, des constatations, des combinaisons, des comparaisons, des réactions. Pour cela, si on veut sortir du verbiage qui a, jusqu’à ce jour, dominé cet enseignement, un matériel adéquat s’impose. ’

‘011« Il ne s’agit pas de fournir aux enfants un matériel réduit de chimiste, de leur décrire, par des manuels pédants, les mille et une expériences qui mènent à la connaissance, d’exiger que se juxtaposent des combinaisons dont la seule raison d’être est leur rapprochement arbitraire dans les programmes officiels -procédés scolastiques prévus pour des êtres instruits à l’écart de la vie et qui ne savent que décourager la vraie recherche.’

‘« L’enfant en qui, par nos techniques, nous avons sauvegardé les forces de vie, est naturellement curieux, chercheur, apprenti savant’ »344. Ce qu’on ne peut pas se permettre d’oublier c’est de mettre à sa disposition un matériel simple, solide, pratique et des fiches sur lesquelles il trouve toutes les indications lui permettant de mener à bien ses recherches dans divers domaines.

Pour l’étude d’histoire et de géographie, l’on part des faits, des événements, du milieu des élèves. Les élèves se familiarisent d’abord avec ce qui est, ce qui se passe autour d’eux avant d’aller plus loin345. L’histoire et la géographie sont vivantes, humaines et utiles à la mesure des enfants. « ‘Les éléments géographiques que vous enseignez à vos élèves et qui ne tombent pas directement dans leur expérience personnelle ne sont vraiment compréhensibles que s’ils peuvent être accrochés, comparés, rapportés à cette expérience. Vous avez beau faire : l’enfant ne comprendra, ni ne sentira jamais la plaine s’il a toujours vécu exclusivement dans une vallée de haute montagne.... Ces notions que vous lui enseignez ainsi du dehors ne seront que des mots sujets à bien des erreurs si elles ne s’inscrivent dans le processus du comportement par comparaison avec une expérience personnelle antérieure.’

‘ ‘« C’est ce qui explique aussi l’impuissance si totale et si souvent méconnue de l’élève à comprendre l’histoire, parce que cette compréhension suppose l’acquisition de la notion de temps et de durée, et que cette notion ne peut être acquise que par expérience personnelle’ »346. ’

Par les classes-promenades, les sorties, les excursions, l’école Freinet met les enfants en relation avec leur milieu ambiant afin qu’ils construisent des connaissances. Au lieu de somnoler devant un tableau, les enfants partent dans les champs qui bordent le ville. Dans cette atmosphère nouvelle, dans ce climat non scolaire, ils accèdent spontanément à des formes de rapports qui ne sont pas celles des écoles scolastiques. Ils parlent, se communiquent sur un ton familier les éléments de connaissance qui leur sont naturels et dont ils tirent tous, maître et élèves, un profit évident. De retour en classe, ils exploitent ce qu’ils ont découvert au cours de ces sorties dans diverses branches scolaires.

Par la correspondance scolaire et interscolaire, et par le journal scolaire, Freinet recherche que les enfants partagent avec d’autres les connaissances qu’ils acquièrent dans leur rapport avec l’environnement. L’école Freinet cultive le désir inné des enfants de communiquer avec d’autres personnes, avec d’autres enfants ; elle sauvegarde et cultive leur désir de faire connaître leurs pensées, leurs sentiments autour d’eux. Elle cultive également leur expression par le geste qui est à la base de l’art plastique et dramatique.

L’école Freinet recherche que les élèves dans leur contact avec l’environnement récoltent des idées à mettre par écrit. Elle fait en sorte que les enfants écrivent librement des textes que Freinet appelle des textes libres. Ce sont des textes que l’enfant écrit librement, quand il a envie d’écrire, et selon le thème qui l’inspire. Non seulement on laisse l’enfant libre d’écrire, mais plus encore on lui donne l’envie et le besoin d’écrire. Il va sans dire que ce thème est en relation avec la vie, la vie de son milieu. Cela est d’autant plus évident que l’école Freinet pousse les éducables à prospecter leur milieu pour qu’ils aient des inspirations. Les enfants sont constamment poussés à explorer autour d’eux, à interroger les parents, les vieux du village, du quartier sur leur milieu, à s’enquérir de la faune et de la flore, etc. Ce qui est recherché, c’est que l’enfant ait à la base le sentiment de ses propres richesses, bien à lui, à la portée sans cesse de son élan. Et les enseignants exploitent les textes écrits par les apprenants pour l’étude de la langue française, de la géographie, de l’histoire, des sciences, etc. Et de plus, ces textes sont communiqués aux parents et transmis aux correspondants.

Pour amener les apprenants à maîtriser leurs sujets et réussir, l’école Freinet utilise la polycopie et l’imprimerie. Les textes libres que les enfants écrivent sont mis au tableau et corrigés. Les meilleurs d’entre eux sont polycopiés, ou composés puis imprimés. Ce sont maintenant de belles pages qu’on illustre, qu’on ajoute au livre de vie. On les diffuse, en feuilles séparées ou sous forme de journal auprès des parents et habitants du village, et jusqu’à la curiosité lointaine de petits correspondants.

Cela donne aux élèves l’envie de s’exprimer, de voir leur langage traduit au tableau, puis fixé à la polycopie et à l’imprimerie. Ils sont fiers et enthousiasmés de la réussite, une réussite que les moyens techniques nouveaux rendent possible. Ils éprouvent le besoin de lire le texte manuscrit, puis le même texte imprimé, de deviner la pensée qui se cache sous les lignes reçues des correspondants. Et ils veulent s’exprimer à leur tour... Le processus est en marche. Pour Freinet, un apprenant qui imprime lui-même de petits textes parviendra à lire, à écrire et à orthographier d’une manière bien plus valable que s’il n’avait aucune idée sur la fabrication des documents imprimés.

Notes
339.

in FREINET (E.), op. cit., p. 77.

340.

in FREINET (E.), p. 77.

341.

FREINET (C.), Pour l’école du peuple, p. 157.

342.

in FREINET (E.), p. 97.

343.

FREINET (C.), L’éducation du travail, p. 255.

344.

in FREINET (E.), pp. 174-175

345.

FREINT (C.), Les techniques Freinet de l’Ecole Moderne, Paris, A. Colin, 1967, p. 99.

346.

FREINET (C.), Oeuvres pédagogiques, tome 1, pp. 430-431.