4 - Au stade formel ou opératoire à partir de onze-douze ans

A partir de onze ou douze ans la pensée formelle devient possible. Les opérations logiques commencent à être transposées du plan de la manipulation concrète à celui des idées seules sans appui de la perception, ni de l’expérience. Le sujet n’est plus astreint à raisonner directement sur les objets concrets et leurs manipulations (opérations de classes, de relations, de nombres et opérations spatio-temporelles), mais il parvient à déduire opératoirement à partir de simples hypothèses énoncées verbalement. L’adolescent combine ses idées, ses hypothèses ou ses jugements comme il combine les objets ou les facteurs (au sens causal) en jeu. Il est désormais capable de déduire les conclusions de pures hypothèses ou assomptions.

Les adolescents sont alors caractérisés par la pensée formelle. Ils édifient des systèmes et des théories, et réfléchissent dans l’inactuel359. Les adolescents portent un intérêt particulier aux problèmes inactuels, sans rapport avec les réalités vécues au quotidien. Ils anticipent des situations futures souvent chimériques avec une naïveté étonnante. Ils élaborent avec une facilité surprenante des théories abstraites. Ils ont tous des systèmes et des théories pour transformer le monde sur un point ou un autre360. C’est de la pensée concrète propre au stade précédent que ce décrochage, cette forme de pensée abstraite provient.

La pensée formelle permet à l’adolescent de se détacher du réel et d’échafauder à sa guise réflexions et théories souvent illusoires. Comme chez le nourrisson, ou durant la petite enfance, le pouvoir nouveau de la vie mentale de l’adolescent commence par s’incorporer le monde en une assimilation égocentrique et ne trouvera l’équilibre qu’en s’accommodant au réel. Cet égocentrisme se manifeste par une croyance en la toute puissance de la réflexion, comme si le monde devait se plier aux systèmes et aux théories, et non les systèmes et les théories à la réalité. Cet égocentrisme métaphysique de l’adolescent sera corrigé par une réconciliation entre la pensée formelle et la réalité. C’est quand l’adolescent commencera à tenir compte de son environnement qu’il raisonnera convenablement.

Sur le plan affectif également on remarque l’égocentrisme de l’adolescent. Grâce à sa personnalité naissante, l’adolescent se pose en égal de ses aînés, mais se sent aussi différent d’eux par la vie nouvelle qui s’agite en lui (notamment la vie sexuelle). Ainsi il veut les dépasser et les étonner. Voilà pourquoi les plans de vie des adolescents sont pleins de sentiments généreux, de projets altruistes, de ferveur mystique. Ils sont pleins de mégalomanie et d’égocentrisme conscient. L’adolescent s’arroge très sincèrement un rôle essentiel dans le salut de l’humanité et organise sa vie en fonction d’une telle idée. L’adolescent entreprend de s’intégrer dans la société des adultes au moyen de projets, de programmes de vie, de systèmes souvent théoriques, de plans de réformes politiques et sociales. Tout cela s’éloigne parfois du réel. La société qui intéresse l’adolescent c’est celle qu’il veut reformer. Il déprise la société réelle qu’il condamne par ailleurs.

Mais l’adaptation véritable à la société se fera lorsque l’adolescent, le réformateur deviendra réalisateur, lorsqu’il commencera à transformer le réel. Piaget fait remarquer : ‘« De même que l’expérience réconcilie la pensée formelle avec la réalité des choses, de même le travail effectif et suivi, dès qu’il est entrepris dans une situation concrète et bien définie, guérit de toutes les rêveries’ »361. Voilà bien soulignée la place de l’environnement, des actions et expériences propres dans le développement mental.

Notes
359.

PIAGET (J.), De la pédagogie, introd. S. Parrat-Dayan et A. Tryphon, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 173.

360.

PIAGET (J.), Six études de psychologie, p. 89.

361.

PIAGET (J.), Six études de psychologie, p. 99.