Des apprentissages signifiants au creux des circonstances

L’éducation traditionnelle du Kasaï entretient un lien constant avec le vécu et le concret en tenant compte des besoins réels de l’enfant. Elle procure à ce dernier des connaissances utilisables dans son milieu. Les apprentissages sont signifiants, reliés et intégrés à la vie. Ce sont tous les événements qui jalonnent la vie des individus et de la société, tous les faits et gestes des personnes de l’entourage, qui constituent autant d’occasions de donner les enseignements. L’enfant ‘« n’est pas gêné par un enseignement rigide et formel qui n’a très souvent que peu de rapports avec ses véritables intérêts et besoins... (L’enseignement) a pour but de donner des connaissances pratiques, il est entièrement conditionné par la conduite que l’enfant aura à tenir ; on lui apprend à exécuter ce qui lui est demandé en telle ou telle occasion et on ne lui permet pas de faire ce qui n’est pas encore à sa portée ’»418.

Quand les proches viennent à la maison ou en allant les visiter, les enfants apprennent les relations qui les relient et l’histoire du lignage. Ils commencent d’abord par voir clair dans la complexe hiérarchie de leur lignage, et ensuite ils étendent leurs connaissances aux clans voisins, à ceux qui sont des alliés ou des ennemis traditionnels. On leur dira par exemple : « ‘les gens qui viennent de partir sont d’une tribu amie ou ennemie. Voici ce qu’il faut faire à leur égard : ...’ ». Les enseignements sur la maladie, sur la mort ne sont donnés qu’à l’occasion de la maladie ou de la mort. Les enfants apprennent dans et par les circonstances. 011

C’est au moment où ils sont confrontés à des situations nouvelles, au moment où ils rencontrent des problèmes déterminés dans leur cheminement qu’on leur apprend comment s’y prendre. Ainsi ils voient clairement à quoi servent les savoirs qui leur sont donnés et du même coup sont mobilisés pour les maîtriser. Leur tête n’est pas encombrée par des choses inutilisables.

Ces techniques de l’éducation ancestrale vont dans le sens de ce que Rousseau préconisait. Selon lui, l’enfant doit voir l’utilité de ce qu’il apprend et l’usage en faire. Si l’on dirige l’enfant vers des choses qui l’intéressent, on s’apercevra que son intelligence se développe sans encombre. L’intérêt présent est le grand mobile qui mène loin. Piaget va dans le même sens. L’enfant comme l’adulte agit par intérêt. Les apprentissages doivent être utiles et avoir du sens pour l’apprenant.011

Pestalozzi disait : « la vie est un facteur d’éducation », la formation élémentaire doit se relier étroitement à la vie de l’enfant. C’est au gré des circonstances et des événements que l’enfant apprend mieux. Les circonstances font l’homme et l’homme fait les circonstances. Il lui faut des connaissances lui permettant de maîtriser son environnement.

Et pour Freinet, l’école est pour la vie. Elle est efficiente si elle est reliée à la vie. Les grandes lignes de la vie, les essentielles forces souterraines sont le ressort même de l’éducation. Celle-ci se dynamise en se connectant aux racines de la vie et en construisant sur les réalités vécues des apprenants. Les pédagogues doivent vivre avec leur temps, penser, sentir et comprendre les situations individuelles et sociales telles qu’elles se présentent, et sur ce, construire une technique éducative. Les préoccupations des gens, qu’elles soient nobles ou non, sont à prendre en compte car elles constituent la trame normale de leur existence. Les contingences de la vie sont déterminantes pour la formation de l’enfant. Sans la prise en compte des préoccupations individuelles et sociales, on construit sur le sable. Et la maison ainsi construite s’écroule avec les premiers orages.011011

Notes
418.

KENYATTA (J.), op. cit., p. 84.