La relation à la communauté

Pour la société traditionnelle, dans ce monde qui nous dépasse de haut et de bas, en amont et en aval, on a besoin des autres et de la communauté. Personne ne peut tout seul savoir tirer profit de choses de ce monde, personne ne peut tout seul savoir se comporter face aux choses et aux personnes de ce monde complexe sans le concours de la communauté et des autres humains. Les jeunes générations se doivent de profiter des savoirs et de la sagesse de leurs aînés.

Voilà pourquoi l’éducation traditionnelle se préoccupe beaucoup des relations des individus avec leur communauté. Elle cherche à intégrer les enfants dans leur communauté, leur clan, leur tribu. On éduque les enfants en fonction de la vie qu’ils sont destinés à mener au sein de la collectivité, comme membres d’un groupe déterminé421. On leur fait comprendre qu’ils sont membres de la communauté, qu’ils doivent avoir de bons rapports avec les autres membres, qu’ils doivent maîtriser les coutumes, les pratiques, les savoirs de leur communauté. On leur fait prendre conscience qu’ils ont besoin des autres, les autres ont besoin d’eux ; se couper de la communauté est mortifère pour l’être humain.

Pour les Anciens et l’éducation traditionnelle, les individus ne doivent pas vivre repliés sur eux-mêmes. Ils ont tout à gagner en s’ouvrant aux autres et à la communauté. Il faut la communication et la collaboration entre les membres de la communauté. L’éducation s’emploie à cultiver chez les éducables le sentiment d’appartenance au groupe et le souci d’oeuvrer pour le bien de ce groupe. Ils apprennent et se convainquent que la communauté protège les individus et leur donne des connaissances, des aptitudes et attitudes pour mieux vivre dans ce monde. Si par les rites initiatiques, on les agrège à la communauté, c’est parce qu’ils ont mobilisé un certain nombre de savoirs, de procédures, de gestes, de comportements leur permettant d’être en bons termes avec la communauté et ses membres.

Ces préoccupations de l’éducation ancestrale du Kasaï peuvent être rapprochées de celles des auteurs que nous avons étudiés. Pour Kant, par exemple, la communauté est une réalité d’importance pour les humains. Le philosophe allemand situe même la communauté dans l’entendement humain. Il la considère comme un concept de l’entendement humain avec lequel l’homme doit compter. La communauté et la totalité ne sont pas extérieures à l’homme, mais en lui. Elles sont une fin qui donne à l’homme sa dignité. L’homme individualiste est limité. L’homme ne crée pas sa connaissance en toute indépendance. Il dépend aussi bien du donné sensible que de la communauté. La pensée ne peut pas être purement individualiste, parce qu’il y a la communauté. D’où, aux yeux de Kant, la communication entre les individus et la relation à la communauté s’imposent.

D’après Pestalozzi, l’homme est un être social qui vit en contrat et en convention avec ses semblables. C’est pour cela que le pédagogue suisse gardait un rapport solide avec la réalité sociale qui environnait les apprenants, et dont il n’a jamais voulu décrocher. Sa méthode se voulait un engagement social pour les pauvres. Selon lui, la vie en société est nécessaire pour les humains. Elle permet d’unir les forces et les savoirs pour un mieux être. Cela ne signifie pas qu’elle procure dans tous les cas ce mieux être. Mais néanmoins c’est une avancée par rapport à l’état de nature.

D’après Freinet, l’éducable est un membre d’une communauté déterminée. Sa personnalité se développe au sein d’une communauté qui le sert et qu’il doit servir. Par voie de conséquence, il n’est pas permis à la pédagogie d’ignorer les préoccupations sociales et individuelles de l’apprenant. L’enfant étant un membre d’une communauté, les techniques manuelles et intellectuelles, les matières d’enseignement doivent procéder de ses besoins fondamentaux et des besoins de sa communauté. Si l’on veut que l’enfant apprenne à conquérir et à dominer le monde qui l’environne, il convient que la vie entre à l’école et que l’élève aille dans le village. Dans le cadre même des tâches scolaires, qu’il se préoccupe des autres membres, des problèmes et des réalités de sa société.

Notes
421.

ERNY (P.), L’enfant et son milieu en Afrique noire, p. 56.