La prise de conscience pour donner du sens aux apprentissages

Dans l’éducation traditionnelle, pour amener l’enfant à une certaine prise de conscience de ses apprentissages, on lui demande tout naturellement : « comment as-tu fait cela ? Comment es-tu parvenu à ce résultat ? Refais ce que tu as fait hier en présence de ta tante pour qu’elle se rende compte que tu es déjà grand. Redis à ton oncle ce que tu m’as dit hier pour lui montrer que tu sais déjà beaucoup de choses, etc. ». Cela permet à l’enfant de revenir un peu sur ses apprentissages et donner du sens à son acte de connaître. Et dans l’apprentissage d’une tâche par exemple, on demande à l’enfant d’observer comment l’adulte exécute la tâche en question, ensuite de l’imiter, et on lui montre comment on peut l’accomplir. Les explications qui lui sont données sont sobres pour lui permettre de prendre conscience de ses actes et les intérioriser. On ne l’encombre pas de longs discours inutiles.

Notre souci est que l’école du Kasaï amène l’élève à donner du sens à son acte de connaître dans la prise de conscience de ses apprentissages en s’appuyant sur cet élan naturel de l’éducation traditionnelle et les constructions modernes. La prise de conscience comme le dit Morin, est ‘« un acte réflexif mobilisant la conscience de soi et engageant le sujet à une réorganisation critique de sa connaissance, voire une remise en question de ses points de vue fondamentaux’ »477. Si l’apprenant arrive au niveau où l’esprit se considère lui-même d’un point de vue supérieur sans cesser de demeurer à l’intérieur de lui-même, cela lui permettra ‘« l’auto-description, l’auto-correction et l’auto-développement de la connaissance, de la pensée, de la psychologie et du comportement de l’être conscient’ »478.

Dans le même créneau Soëtard estime que l’être humain « ‘se réalise assurément dans des oeuvres et dans des choses réalisées, mais il grandit et s’humanise à la mesure du travail intérieur qu’il opère sur lui-même en même temps qu’il agit. C’est à partir de ce foyer qu’il relance constamment sa dynamique, qui va ensuite s’investir dans les objets’ »479. C’est à partir de ce foyer qu’il donne du sens à son acte de connaître.

Voilà pourquoi nous estimons qu’il est nécessaire d’amener l’apprenant du Kasaï au dédoublement de sa conscience lui permettant d’objectiver et de traiter au second degré, comme objets, toutes ses activités cognitives. Il sied d’aider l’apprenant à revenir sur ses connaissances, à réfléchir sur sa propre démarche, à s’interroger sur l’efficacité de ses façons de procéder, à prendre conscience de ses apprentissages, à les exprimer avec ses propres mots, à les intérioriser, et à y trouver du sens pour lui. Le pédagogue incitera l’apprenant à être en quête des connaissances de lui-même pour découvrir et utiliser les forces qui sommeillent en lui abandonnées à elles-mêmes.

Souvent on va d’un problème à un résultat par un chemin au sujet duquel on ne se pose pas de questions. Ce qui ne permet pas la construction du sens pour l’apprenant. Un travail d’intériorisation et de décentration permettant au sujet de se poser des questions, de savoir comment il fait quand il agit, quand il réfléchit, quand il résout tel problème, quand il est confronté à telle situation, est d’importance. Il importe qu’il s’interroge sur les conditions d’efficacité des procédés qu’il utilise, qu’il soit conscient des images mentales qu’il mobilise : auditives ou visuelles.

Pour les divers apprentissages, il serait approprié de favoriser la vie intérieure des apprenants. On pourrait les aider à conserver ce qu’ils apprennent par des images mentales visuelles ou auditives, et à opérer un retour réflexif sur leurs apprentissages. Ces images ne doivent pas être seulement des images de configurations statiques, il importe que les élèves se procurent aussi les images des objets et des situations en mouvement ou en transformation. En faisant exister mentalement en images visuelles ou auditives les apprentissages, on peut mieux pénétrer leur sens et les orienter vers les objets de son choix. Si les apprentissages sont bien conservés de cette manière, on pourra se poser des questions intelligentes et les utiliser à bon escient. ‘« Connaître, disait Jousse, c’est ‘intussusceptionner’ (saisir ce qui est extérieur et le porter à l’intérieur de soi) pour prendre conscience, et c’est cette prise de conscience qui est science’ »480.

Au cours de l’apprentissage, il serait aussi intéressant que l’enseignant questionne l’apprenant pour le rendre conscient de son mode de fonctionnement, de ses stratégies, de ses idiosyncrasies et représentations. Ces questions sont à poser en termes de comment et non de pourquoi pour éviter que l’apprenant émotif se sente agressé. Comment en êtes-vous arrivé là ? Comment faites-vous quand vous êtes en face de tel problème ? Comment faites-vous pour maîtriser telle situation ? La reformulation et la mentalisation peuvent aider l’élève à structurer ses connaissances de façon personnelle et explicite, à être conscient de ce qu’il fait, à donner du sens à son action et à suivre son propre chemin d’évolution.

La prise de conscience ne se fait pas uniquement seul. Il importe qu’elle se fasse aussi en groupe. Les discussions, les débats, les critiques de partenaires peuvent aussi aider le sujet à bien se situer, à être conscient de sa démarche, à bien intérioriser le sens de ses connaissances, à bien intégrer les savoirs dans la gestion de sa vie. Si les plus grands s’occupent des plus petits, les plus habiles de ceux qui le sont moins, cela peut aussi amener les élèves à la prise de conscience de leurs apprentissages et à construire du sens pour eux.

Notes
477.

MORIN (E.), La méthode 3. La connaissance de la connaissance, p. 192.

478.

MORIN (E.), La méthode 3. La connaissance de la connaissance, p. 191.

479.

SOËTARD (M.), Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risque de la philosophie, p. 113.

480.

JOUSSE (M.), L’anthropologie du geste, p. 45.