0.1. Les motifs de la recherche

Depuis une dizaine d’années dans un contexte français de chômage important, l’ARTT est (re)devenue une préoccupation dans notre pays.

Pour s'en convaincre, il suffit de porter un regard sur les multiples voies de solutions qui se sont succédées au cours de ces dernières années : de l'allégement des charges sociales aux modalités d'insertion de certains types de salariés, des encouragements à l'innovation aux aides favorisant les créations d'entreprise, les dispositifs sont nombreux. Leur nombre d’ailleurs nuit parfois à leur lisibilité (Rolland et Serieyx, 1996 3 ).

La loi d’orientation et d’incitation à la réduction du temps de travail du 13 juin 1998 4 et la loi relative à la réduction négociée du temps de travail du 15 décembre 1999 5 , fixant la durée légale de travail à 35 heures s’inscrivent dans un processus de co-production de normes déjà amorcé par les lois précédentes (la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, la loi Robien du 11 juin 1996). Celui-ci associe obligations réglementaires de droit commun et conventions issues d’accords construits dans l’action. Intervenant en amont et en aval des négociations, la loi articule contrainte (définition d’une norme horaire, imposable aux entreprises et salariés soumis à la réglementation sur la durée du travail) et décentralisation de la négociation (définition des modalités d’aménagement de la contrainte).

Tout le monde s’accorde à reconnaître la complexité grandissante du cadre juridique et conventionnel de la durée du travail. Le passage d’un régime de droit d’origine légale à un régime de droit négocié a conduit à un éclatement des référentiels collectifs en matière d’horaires et à une diversification croissante des horaires et durées individuels de travail (Fermanian, Baesa, 1997 6 ).

Celle-ci alourdit le travail de l’encadrement (planification, programmation) et complexifie la gestion des personnels en multipliant les formes d’ajustement aux rythmes et contraintes de l’activité : heures supplémentaires, dont le coût est indéniable, recours à l’intérim et aux contrats précaires, dont les durées d’adaptation, les compétences et le coût peuvent être variables, irrégularité grandissante des jours travaillés ayant pour effet d’allonger la durée du travail (Dietrich, 1999 7 ).

Notre recherche porte sur un sujet d'actualité, dont le thème - la réduction du temps de travail - est au cœur des débats, qu'ils soient idéologiques ou économiques. Un grand nombre d'auteurs l'ont abordé, mais il s'agit le plus souvent d'une approche qui a délibérément choisi le ton de la polémique. Au cours des années 90, sociologues et philosophes ont entamé ce chantier ; ils se proposaient de définir la place réelle du travail dans notre société. Il est fort probable que ce sont ces travaux qui ont servi de rampe de lancement, sinon de "justifications", aux mesures prises par le gouvernement Jospin en faveur de la réduction du temps de travail.

D’abord incitative puis devenue une obligation légale, la nouvelle loi sur le temps de travail entraîne légitimement de nombreuses questions – posées par les dirigeants, les entreprises et les chercheurs.

En effet, au-delà de l’invocation récurrente, inlassablement relayée par les médias de quelques cas « exemplaires », la question des moyens concrets à mettre en œuvre pour aménager la durée du travail, sans mettre en danger la performance socio-économique des entreprises, reste largement inexplorée.

On citera toutefois les études économiques et les enquêtes basées sur des déclarations de salariés de (Boulin et al., 1998 8 ), dont les propositions étaient un encouragement à se diriger vers les 35 heures. Si les études sont abondantes sur ce thème leur apport reste modeste en termes pratiques.

Loin des débats médiatiques et politiciens qui alimentent vivement l’actualité sur ce sujet depuis maintenant près de cinq ans en France et depuis beaucoup plus longtemps encore dans certains pays et face à cet objectif-contrainte, notre recherche se propose de s’attarder sur les comportements stratégiques et les changements organisationnels qui affectent les entreprises et les organisations suite à la mise en place de nouvelles organisations temporelles.

Notes
3.

ROLLAND G et SERIEYX H., « Réorganiser le temps de travail », Ministère du travail et des affaires sociales, 1996.

4.

J.O. Numéro 145 du 25 juin 1998 page 9627, Textes généraux, Ministère de l’emploi et de la solidarité, Circulaire du 24 juin 1998 à la réduction du temps de travail, MESC9810724C.

5.

La loi Aubry II sur les 35 heures : décision du conseil constitutionnel n°99-423 du 13 janvier 2000. Bulletin n°676, 17 janvier 2000, pp. 6797-6799.

6.

Fermanian J.M. , Baesa M.P. « La durée du travail à temps complet », INSEE, Première, n°545, septembre 1997.

7.

DIETRICH A., « Incidences de l’aménagement-réduction du temps de travail sur les modes de contrôle en Gestion des Ressources Humaines : les leçon d’une enquête en P.M.E du Nord-Pas de Calais », Actes du 10ème congrès de l’AGRH, « La GRH : contrôle et autonomie », tome 1, les 9 et 10 septembre 1999, 468 p., pp. 447-460

8.

Boulin J.-Y., Cette G., Verger D. « Les salariés de la chimie face à la réduction du temps de travail, les frontières du temps de travail », 6ème journée d'étude du CLERSE dans le programme de l'IFRESI, Lille, 1998, 61p.