0.3.2.1. La théorie socio-économique des organisations

Nous présentons ci-dessous une analyse de l’origine de l’analyse socio-économique en la positionnant par rapport à d’autres courants de pensée, ainsi que les fondements théoriques qui la structurent.

L’analyse socio-économique proposée par le Professeur Henri Savall est née en 1973 d’une volonté de synthèse de plusieurs courants disciplinaires.

  • La discipline économique et plus précisément deux auteurs : Germàn Bernacer 39 , économiste espagnol raisonnant sur les déséquilibres et l’importance du temps, et François Perroux 40 père radicaliste en théorie économique.
  • La sociologie française 41 , en ce qu’elle s’intéresse aux rapports de pouvoir entre personnes et groupes au sein de l’entreprise. Toutefois, l’analyse socio-économique s’oppose à la sociologie française en particulier sur l’usage de la mesure et de la quantification dans les outils d’analyse. Alors que l’approche socio-économique accorde une place importante, bien que non exclusive, à la quantification, l’approche sociologique a été pendant de nombreuses années résolument opposée à ce type d’outils.
  • Le courant socio-technique 42 dans la théorie des organisations, qui a développé l’analyse du couple homme-machine comme déterminant de l’efficacité socio-économique. Cependant, alors que l’analyse socio-économique cherche à analyser les conséquences économiques de nouveaux modes d’organisation, le courant socio-technique estimait que ces modes d’organisation trouveraient leur légitimité dans la seule dimension sociale.

De 1973 à 1977, l’analyse socio-économique s’est consacrée à rechercher des méthodes pour identifier et évaluer les coûts cachés des dysfonctionnements et à montrer qu’il est possible d’évaluer les « coûts cachés » d’une entreprise ou d’une organisation. A partir de 1978, la conceptualisation et la construction théorique ont porté sur l’analyse explicative des coûts cachés et l’ISEOR a commencé à expérimenter des interventions de changement comprenant une méthode de diagnostic et de projet destinée à réduire les coûts cachés et créer du potentiel.

L’analyse socio-économique s’attache à étudier et perfectionner le fonctionnement des entreprises et des organisations.

L’hypothèse fondamentale de l’analyse socio-économique considère qu’une organisation est un ensemble de structures et de comportements en interaction permanente, mais également que « le niveau de performance économique d’une organisation dépend de la qualité de l’interaction entre les structures de l’organisation et les comportements humains qui agissent au sein de cette organisation » (Savall, 1978 43 ).

Ainsi, la théorie socio-économique considère l’entreprise comme un ensemble complexe comprenant cinq types de structures en interaction et cinq types de comportements humains. Les structures sont des éléments relativement permanents et stables de l’organisation : les structures physiques, technologiques, organisationnelles, démographiques et mentales. Inversement, les comportements sont caractérisés par leur instabilité dans le temps du fait de leur nature conjoncturelle. Les comportements sont des manifestations de l’homme qui ont une influence sur son environnement physique et social, ils dépendent de logiques individuelles, de groupe d’activité, catégorielles, de groupe d’affinités et collective.

L’interaction permanente et complexe entre les structures et les comportements constitue le fonctionnement de l’entreprise. L’orthofonctionnement, ou le fonctionnement souhaité, se dégrade au profit des dysfonctionnements, ou écart entre le fonctionnement souhaité et le fonctionnement observé. Les dysfonctionnements sont classés en six familles qui constituent simultanément autant de domaines de solutions pour les réduire : les conditions de travail, l’organisation du travail, la communication-coordination-concertation, la gestion du temps, la formation intégrée et la mise en œuvre stratégique.

L’impact financier de la régulation de ces dysfonctionnements se manifeste par l’émergence de coûts cachés, du fait d’un manque d’évaluation, de pilotage et de surveillance par un système d’information et d’alerte.

Sur la base de cette hypothèse fondamentale, l’équipe de l’ISEOR étudie et élabore des concepts et outils qui visent à améliorer le fonctionnement ainsi que le niveau de performances économiques et sociales des entreprises et des organisations. Ainsi, des actions synchronisées sont menées sur les variables de structures, de comportements et de familles de dysfonctionnements afin de réduire les dysfonctionnements et les coûts cachés qu’implique leur régulation.

Notes
39.

SAVALL H. « Germàn Bernacer. L’hétérodoxie en sciences économiques », Dalloz, Coll. Les Grands Economistes, 1975, 479 p.

40.

PERROUX F. « Pouvoir et économie », Dunod, 1973, 140 p. et « Unités actives et mathématiques nouvelles. Révision de la théorie de l’équilibre économique général », Dunod, 1975, 274 p.

41.

CROZIER M. et FRIEDBERG E. « L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective », Editions du Seuil, Coll. Points Essais, 1977, 500 p.

42.

SAVALL H. « Enrichir le travail humain : l’évaluation économique », Dunod 1975, nouvelle édition augmentée, Economica, 1989, 269 p.

43.

SAVALL H. « Propos d’étape sur la régulation socio-économique de l’entreprise par la recherche de la compatibilité de l’efficience économique et du développement humain », Rapport au 7ème Colloque International du Collège de France sur l’idée de régulation dans le mouvement des sciences, organisé par François Perroux et présidé par Jean Piaget, décembre 1977, Revue Economie Appliquée, n°4, 1978, 36 p.