0.3.2.2. La recherche-intervention

La problématique de l’ARTT et les questions de recherche proposées nécessitent des contacts longs et répétés avec les terrains observés. Nous choisissons, par conséquent, une méthodologie de type recherche-intervention (Argyris et Schön, 1978 44 ). Ce type de recherche est fréquemment mis en œuvre lorsqu'il s'agit d'étudier des comportements d'acteurs sur le long terme et d'observer l'évolution de pratiques. La recherche-intervention permet la découverte d'hypothèses non spécifiées à l'avance et évite l'écueil de la construction de modèles trop éloignés des perceptions et du fonctionnement réels des acteurs (Louart, 1993 45 ).

Nos travaux, menés en collaboration et selon le modèle développé par l’équipe de chercheurs de l’ISEOR, s’appuient sur une investigation expérimentale des modes d’organisation dans l’entreprise. le chercheur est donc présent sur le « terrain ».

La méthode de recherche utilisée dite de recherche-intervention, appelée aussi recherche-expérimentation, est pratiquée depuis vingt-cinq ans à l’ISEOR. Cette recherche à visée descriptive, explicative et prescriptive s’appuie sur l’élaboration et la validation d’hypothèses de connaissances à partir de l’observation scientifique rapprochée et de données dites de terrain (Savall et Zardet, 1995 46 ).

Notre recherche, de type clinique, s’attache à observer les entreprises et des organisations « sur un temps plus ou moins long pour suivre les évolutions naturelles ou les changements provoqués » (Wacheux, 1996 47 ). La méthode clinique s’attache à son objet et l’observe pour suivre les évolutions naturelles ou les changements provoqués. Cela rejoint le modèle de la boucle « abduction-déduction-induction » (David, 1999 48 ) selon laquelle l’hypothèse explicative est construite par abduction, ses effets sont analysés par déduction, les théories affirmées sont mises en évidence par induction et lorsqu’elles sont infirmées, on recommence sur le principe de l’abduction.

J.-M Plane (2000 49 ) définit la recherche-intervention en management comme « un processus d’interactions complexe et cognitif entre les acteurs d’une organisation et des intervenants-chercheurs en management, chargés de l’implantation, de l’acclimatation de méthodes et d’outils ainsi que de la stimulation de transformations durables sur le mode de management et de fonctionnement d’une organisation ».

Le statut épistémologique que nous conférons au « terrain » est celui d’un champ d’investigations approfondies. Il s’agit donc d’une observation empirique, la seule exploitation de la littérature étant insuffisante. Le choix de cette pratique est justifié par le fait que le chercheur se donne pour finalité d’accéder à des sources d’informations aussi fiables que possibles. Il s’agit d’approcher physiquement les micro-espaces où se produisent les phénomènes à observer compte tenu de l’insuffisance des systèmes d’information traditionnels. Notre approche s’inscrit dans lignée du courant constructiviste, dans la mesure où l’on sait que l’intervention, voire la simple observation, modifie le comportement des acteurs et transforme la réalité (Louart, 1995 50 ). Dans une telle perspective, la production de connaissances ainsi que les conditions de validité et de validation ne peuvent être dissociées.

Dans le débat épistémologique, la problématique de la contingence opposée à l’universalisme prend une place importante. Le cadre épistémologique dans lequel se situent nos travaux est celui de la contingence générique (Savall et Zardet, 1996 51 ). Pour ces auteurs, « les recherches-interventions permettent de produire des connaissances, dont la forme concrète est spécifique, et partant, de nature contingente, mais dont les éléments profonds font apparaître des régularités et des invariants dotés d’une certaine souplesse et soumis à une certaine relativité, qui constituent des règles génériques dotées d’une certaine stabilité et d’une « certaine universalité ».

Alors que la littérature ne permet pas d’aborder l’organisation dans son ensemble, la présence du chercheur sur le terrain permet de développer les connaissances sur le fonctionnement des entreprises et des organisations (Riveline, 1995 52 ). La recherche-intervention, fondée sur l’expérimentation et l’observation sur le terrain relève d’une véritable démarche empirique que le Centre de Gestion Scientifique (CGS) de l’Ecole des Mines de Paris 53 et le Centre de Recherche en Gestion (CRG) de l’Ecole polytechnique 54 appliquent également. Le mode opératoire d’une recherche-intervention autorise l’alternance entre l’immersion dans l’entreprise et la distanciation afin de conceptualiser le problématique de recherche. Le recherche-intervention consiste à produire des connaissances et des concepts qui permettent « de penser des trajectoires » dans lesquelles les entreprises et les organisations pourraient s’engager (Hatchuel, 1994 55 ). Dans ce cas on parle du principe d’interactivité cognitive entre les intervenant-chercheurs et les acteurs de l’entreprises, dans un souci permanent d’accroître la valeur de la signifiance des informations traitées dans le travail scientifique. On comprend mieux la structure d’un objet quand on le transforme (Processus déstructuration-restructuration source de production de la connaissance).

Notre recherche se fonde sur un processus de va-et-vient permanent entre la littérature, le laboratoire et une ensemble de terrains. Il s’agit d’une méthode inductive fondée sur un va-et-vient selon une démarche séquentielle de type :

Observation empirique induction formulation d’hypothèses logico-déductives confrontation au réel par observation empirique, et ainsi de suite.

C’est une démarche qui se veut à la fois hypothético-déductive et logico-inductive. La démarche hypothético-déductive consiste à élaborer une ou plusieurs hypothèses et à les confronter à une réalité. Grâce à la recherche-intervention, le chercheur est à la fois impliqué dans la production de connaissances et dans l’action de changement vécue par l’entreprise qui constitue un terrain d’expérimentation. Les hypothèses de connaissances sont élaborées et validées à partir de l’observation et de données dites de terrains, c’est-à-dire d’entreprises et d’organisations, qui constituent l’objet et le champ de la recherche en sciences de gestion.

Sur la base d’expérimentations menées au sein d’entreprises et d’organisations dans le cadre de recherches-interventions, nous avons pu définir des hypothèses de recherche que nous avons confrontées à la littérature. A leur tour, les matériaux bibliographiques nous ont permis de faire émerger de nouvelles hypothèses. La démarche de recherche-intervention que nous adoptons est résolument « transformative », par opposition aux démarches dites « contemplatives » (Avenier, 1989 56 ). La recherche-intervention est un processus où il y a concurremment et successivement création de connaissances et changement.

Précisons que la recherche-action consiste à effectuer des observations sans que le chercheur ait pour autant la volonté de s’engager dans l’action mise en œuvre par l’entreprise et c’est en cela que la recherche-intervention diffère de la recherche-action. En revanche, la recherche-intervention s’apparente à la recherche-expérimentation dans la mesure où le chercheur expérimente l’objet, désire le transformer, et mieux le connaître pour faire émerger des connaissances sous forme de règles. La recherche-intervention nous permet donc de dégager des résultats de recherche relatifs à la mise en œuvre et aux impacts de projet stratégique sur l’ARTT.

La recherche-intervention permet à la fois de décrire, d’expliquer des faits. Elle alterne des phases de formalisation et de contextualisation de durée et d’intensité variable dans l’objectif de faire progresser les modèles et outils de gestion. C’est pour cette raison que la recherche-intervention » constitue un modèle de conception et de pilotage du changement particulier, dans lequel conception et implémentation des nouveautés sont gérés en « simultané » (David, 2000 57 ). Elle permet également de transformer, de changer une situation : réduire les surtemps, améliorer la performance globale des entreprises et des organisations grâce à la mise en œuvre d’un projet d’amélioration. Enfin, l’évaluation permet de mesurer les impacts de l’ARTT sur la performance socio-économique.

Notes
44.

Argyris C. et Schon D, 1978, Organizational Learning: A Theory of Action Perspective. Reading, MA: Addison-Wesley Publishing Co.

45.

LOUART P., « Gestion des ressources humaines », 1993, Eyrolles, 283 p.

46.

SAVALL H. et ZARDET V., « La dimension cognitive de la recherche - intervention : la production de connaissances par interactivité cognitive », article Revue Internationale de Systémique, décembre 1995, pp.157-189.

47.

WACHEUX F. « Méthodes qualitatives et recherche en gestion », Economica, 1996, 290 p., p. 51

48.

DAVID A., Logique, épistémologie et méthodologie en sciences de gestion, 8ème conférences Internationale de Management Stratégique, Ecole Centrale de Paris, du 26 au 29 mai 1999, 23 p.

49.

PLANE J.-M. « Méthodes de recherches-interventions en management », Préface de R. Pérez, L’Harmattan, 2000, 256 p.

50.

LOUART P., « Symposium Constructiviste et stratégie en GRH », Actes du 6ème congrès de l’AGRH, Poitiers, pp. 610-618.

51.

SAVALL H. et ZARDET V., « La dimension cognitive de la recherche - intervention : la production de connaissances par interactivité cognitive », article Revue Internationale de Systémique, op. cit., pp.157-189, p.175.

52.

RIVELINE C. « De Maurice Allais à Emile Durkheim. Itinéraire d’un chercheur en gestion », Les Anales de l’Ecole de Paris, Volume 1, 1995, p. 367-378, p. 369.

53.

MOISDON J.-C., « La recherche au Centre de Gestion Scientifique - Evolutions et perspectives », document de présentation du CGS (crée en 1967), Ecole des Mines de Paris, 1992, 23 p.

54.

Document de présentation du Centre de Recherche en Gestion (CRG crée en 1972) de l’Ecole Polytechnique, 10 p.

55.

HATCHUEL A., « Les savoirs de l’intervention en entreprise », Entreprise et Histoire, n°7, p.59-75, p.70.

56.

AVENIER M.-J. « Méthodes de terrain et recherche en management stratégique », Economies et Sociétés, Tome XXIII, n°12, Série « Sciences de gestion », n°14, décembre, 1989, pp.199-218, p.206

57.

DAVID A. « La recherche intervention, un cadre général pour les sciences de gestion ? », Actes du 9ème conférence Internationale de Management Stratégique, Montpellier, 24, 25 et 26 mai 2000, 22 p., p.11.