1.1.2.1. L’aménagement et la réduction du temps de travail : les premières incursions du législateur dans la gestion des temps travaillés en France

1.1.2.1.1. De 1814 à 1936 : baisse progressive de la durée du travail

En réaction à cette logique industrielle et marchande toute puissante, le souci d’améliorer les conditions de travail et de vie apparaît. Le législateur va imposer des règles et des seuils dans la gestion du temps dans les entreprises. Le législateur devient peu à peu un acteur de la gestion du temps, rôle jusque-là réservé aux industriels.

Il faudra attendre 1914, en France, pour qu’une loi institue les dimanches et les jours de fêtes catholiques comme étant obligatoirement fériés. Puis la loi du 22 mars 1841 constituera la première loi sur le temps de travail relative au travail des enfants employés dans les ateliers, les usines et les manufactures. Cette loi limite le temps de travail des enfants de huit à douze ans à 8 heures par jour.

La réduction du temps de travail pour améliorer les conditions de travail et de vie est soutenue par une partie de l’Eglise, des syndicats, des intellectuels et du patronat « éclairé ». Pour une partie du patronat, la réduction du temps de travail est pour un intérêt bien compris : en raison de la fatigue ouvrière, les heures effectuées au-delà de dix heures par jour coûtent souvent plus cher qu’elles ne rapportent (Alis, 1999 87 ).

La loi du 30 mars 1900 constituera une réelle avancée avec l’organisation d’une réduction progressive de la durée journalière à dix heures. Cependant, il apparaît que la France atteignait cet objectif des dix heures avec un retard sur les autres pays (Angleterre : 1850, Allemagne : 1891, Russie : 1837). Du côté du mouvement ouvrier, il y avait déjà longtemps que les objectifs revendicatifs s’étaient fixés sur la journée de huit heures (Rigaudiat, 1996 88 ). Ce n’est qu’en 1919 que cela deviendra réalité en France après la loi de 1906 instaurant le repos dominical obligatoire.

La loi du 23 avril 1919 institue des durées maximales de huit heures par jour et de quarante-huit heures par semaine. Notons, que ses objectifs étaient les suivants :

  • mettre fin aux journées épuisantes et permettre aux ouvriers de bénéficier d’un minimum de loisirs ;
  • améliorer le rendement et la qualité du travail ;
  • faciliter, en réduisant les horaires de travail, l’emploi d’un grand nombre de travailleurs et par conséquent les risques de chômage.

On peut souligner avec intérêt que les principaux objectifs de la réduction du temps de travail étaient au début du siècle proches de ceux qui sont le plus couramment énoncés aujourd’hui lorsque l’on traite d’ARTT : l’amélioration des conditions de vie au travail, l’amélioration de la productivité et de la production et une réduction de sans-emploi.

Pour comprendre la législation sur le temps de travail, il faut partir du front populaire. C’est de cette période que datent les principes fondateurs de la vision du temps de travail. Ces principes sont : la durée légale du travail est définie sur la base de la semaine, le cadre de répartition et d’aménagement du temps de travail hebdomadaire et l’horaire de travail revêt un caractère collectif.

En effet, suite aux événements de 1936, le gouvernement Blum est formé le 4 juin et les accords de Matignon des 7 et 8 juin 1936 (deux semaines de congés payés) et du 21 juin 1936 (semaine de quarante heures) sont adoptées.

Ce mouvement de réduction de la durée annuelle du temps de travail est stoppé en 1938. La loi sur les 40 heures, promue par le gouvernement Léon Blum, n’a pas eu les effets escomptés sur l’emploi.

Cette législation produisit un choc extrêmement brutal sur l’économie. Un passage de 48 heures à 40 heures dans les établissements avec une compensation intégrale représentait, a priori un surcoût salarial supérieur à 20%. De plus, le recours aux heures supplémentaires était strictement limité. L’arrivée de la gauche au pouvoir s’est traduite simultanément par la relance des salaires et la réduction du temps de travail.

Si le chômage a reculé sur une période de moins d’un an (passant de 400 000 à 300 000 durant la période : l’été 1936 et l’été 1937), le nombre de chômeurs a recommencé à croître en septembre 1937. Economiquement, la loi n’a pas eu les effets attendus, cependant, socialement, « l’invention des congés payés » permet aux ouvriers de bénéficier des loisirs et marque une époque nouvelle (Richez et Strauss, 1995 89 ).

Les premières incursions du législateur dans le temps de travail montrent que ce dernier, après l’industriel et les salariés au travers de leurs revendications, devient un acteur incontournable en France de la gestion des temps travaillés et du temps social.

Notes
87.

ALIS D. « De la théorie à la pratique. Cinq entreprises face aux 35 heures », Revue Française de Gestion, numéro spécial, Le retour du travail, n°126, novembre-décembre 1999, p. 169-209, p. 172.

88.

RIGAUDIAT J., « Réduire le temps de travail », Syros, 2ème édition, 1996, Op. cit., p. 27-28.

89.

RICHEZ J.-C. et STRAUSS L., « Un temps nouveau pour les ouvriers : les congés payés (1930-1960) », in A. Corbin, « L’avènement des loisirs 1850-1960 », Aubier, 1995.