2.2.2.1. L’ARTT comme élément clé de l’organisation du travail

La mise en place de l’ARTT nous semble manifester l’émergence de ce que Moisdon (1997 237 ) appelle « une philosophie de l’action organisée qui lie de façon continue la construction de l’instrumentation à celle de l’organisation elle-même ». A ce titre nous voyons dans l’ARTT « un dispositif de gestion » au sens où l’entend Moisdon (1997 238 ) qui désigne par ce concept « les types d’arrangement des hommes, des objets, des règles et des outils qui paraissent opportuns à un instant donné ». Le dispositif de gestion joue le rôle de support de l’action collective. L’ARTT constitue alors un support privilégié d’apprentissage de l’action collective. L’ARTT requiert de nouvelles formes d’instrumentation du temps de travail, voire de nouvelles configurations des situations de travail (création d’équipes supplémentaires, de suppléance, suppression des chevauchements entre les équipes) qui obligent à repenser l’organisation et ses modes de coordination. Arranger c’est ranger selon un dessein, c’est-à-dire déterminer l’ordre qu’on adopte. Il désigne à la fois une mise en ordre des modes et des règles de fonctionnement et une mise aux normes (juridico-temporelles) de l’utilisation des hommes au travail. Le terme arrangement semble approprié pour rendre compte à la fois du caractère contextuel et récurrent de la problématique, de la contingence de sa mise en œuvre et de ses effets transformateurs à plus long terme. Dans cette perspective, l’instrumentation de gestion a moins vocation à imposer des modèles d’action, une rationalité unique, qu’à définir un cadre de référence permettant de structurer les négociations d’acteurs dans un contexte complexe. L’ARTT constitue un outil global de gestion en ce sens qu’il facilite la production d’autres arrangements conciliant logiques organisationnelles et sociales : aides à l’embauche des jeunes et rajeunissement de la pyramide des âges, monté en compétences et polyvalence, développement, préservation de l’emploi et accroissement du potentiel d’activité, meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entre contraintes horaires de l’activité et temps choisi, logique individuelle et logique collective. L’ARTT implique un accord, un compromis entre des acteurs internes et externes mais un processus de mise en sens de l’action permettant aux salariés de s’approprier les obligations implicites qu’il véhicule. L’ARTT suppose une clarification des enjeux et objectifs liés au changement de la durée et de l’organisation du temps de travail et leur évaluation dans la durée. La définition et la mesure du temps travaillé donnent lieu à des conventions qui sont autant de prescriptions en matière de comportements.

De ce point de vue, on assiste à une reconfiguration du problème qui autorise la construction d’accords d’ARTT et de formes de coordination conciliant logiques collectives, logiques individuelles, rationalités technico-économiques et rationalités socio-politiques (Louart, 1995 239 ). Cette restructuration du champ de la problématique affecte la gestion des ressources humaines : la réduction du temps de travail devient un moyen d’embaucher. L’opportunité d’embauche est perçue comme créatrice d’activité et de valeur ajoutée et donne lieu à une analyse du besoin (Dietrich, 1999 240 ). Le personnel n’est plus perçu comme un coût mais comme une « ressource » (Bournois et Brabet, 1993 241 ).

Notes
237.

Moisdon J.-C., « Du mode d’existence des outils de gestion », Actes du séminaire Contradictions et Dynamique des Organisations(CONDOR), Séance du 23 janvier 1997, pp. 7- 37.

238.

Moisdon J.-C., « Du mode d’existence des outils de gestion – les instruments de gestion à l’épreuve des organisations », Paris, Sedi Arslan 1997, 286 p., p. 10.

239.

Louart P., « Succès de l’intervention en ressources humaines », Paris, Editions Liaisons, 1995, 314 p.

240.

DIETRICH A., « Incidences de l’aménagement-réduction du temps de travail sur les modes de contrôle en GRH : les leçons d’une enquête en PME du Nord-Pas de calais », Acte du 10ème Congrès de l’AGRH, 9 et 10 septembre 1999, Tome 1, pp. 447-460.

241.

Bournois F. et Brabet J., « Les connaissances en gestion des ressources humaines », in « Repenser la GRH », Brabet (coord.), Paris, Economica, 1993, pp. 15-38.