3.2.4. Le management par projet et l’apprentissage organisationnel

Comme l’indique Schön (1996 375 ), l’apprentissage organisationnel constitue un concept porteur, voire fondateur, dans la théorie des organisations et prenant différentes formes, il renvoie à une vision de l’organisation : celle de l’évolution. Pour Guilhon (1998 376 ), l’évolution renvoie à « une vision de l’organisation caractérisée comme un ensemble d’individus reliés entre eux par un système de coordination des tâches et en interaction avec leur environnement ; le moteur de l’évolution se situe au plan des connaissances et des capacités des membres à concevoir et à interpréter les informations ».

Cette sous-section pose la question de l’apprentissage organisationnel dans le cadre d’une démarche d’ARTT : comment les entreprises peuvent-elles changer leurs modes de fonctionnements et développer de nouveaux comportements de travail ?

L’émergence des formes-projet dépend étroitement de la volonté des acteurs organisationnels de les définir comme mode légitime de gestion de l’innovation, et de leur compétence à les mettre en œuvre. D’une manière générale, l’approche de la contingence n’éclaire pas le processus d’émergence de ces formes, c’est-à-dire ses conditions et mécanismes, les acteurs et les dispositifs qu’il mobilise, le contexte dans lequel il se déploie et qu’il transforme. C’est donc à partir des situations concrètes d’interaction que la situation-projet créée entre les acteurs, que l’on peut lire une évolution organisationnelle ; et c’est parce que le projet est susceptible de créer des mises en relations inédites que cette évolution peut être expliquée.

Cette approche nous conduit à adopter une perspective constructiviste (Giddens, 1987 377  ; Bouchikhi, 1993 378 ), dans laquelle des déterminants externes et les contraintes internes, tous deux médiatisés dans les représentations des acteurs et actualisés dans leurs pratiques, interagissent dans l’évolution organisationnelle.

Nous posons comme hypothèse que le management par projet constitue un stimulant de l'apprentissage organisationnel dans le cadre d’un démarche d’ARTT.

Le projet est lui-même l’occasion d’un apprentissage organisationnel. C’est à ce niveau qu’il convient d’abandonner une conception contingente, où le projet n’est que l’expression d’une stratégie pré-existante. Le projet est susceptible de transformer l’organisation elle-même. Loin d’être seulement un lieu de reproduction des pratiques antérieures, il est aussi un espace de construction collective de nouvelles logiques d’actions.

Pour Picq (1997 379 ), l’introduction d’un dispositif projet dans une organisation change les modes de fonctionnements habituels et développe de nouveaux comportements et savoir-faire chez les personnes qui s’y impliquent. La nécessité de faire converger vers un but unique et finalisé des apports individuels différents représente un espace privilégié d’apprentissage et d’évolution des comportements de travail.

Le management par projet ne peut être considéré comme un fin en soi. Il doit être conçu comme une adaptation continue du fonctionnement de l’entreprise et de ses partenaires aux spécificités des projets, des clients, de la concurrence. La base de cette adaptation relève d’un processus d’apprentissage des hommes et des organisations et vise la maîtrise totale de l’activité de l’entreprise à travers les projets.

Nous considérons dans le cadre de notre recherche, que l’apprentissage consiste à apprendre et à développer des connaissances par l’action. Il ne suffit pas de rechercher des solutions et de les appliquer, il faut capitaliser sa propre expérience (observer les dysfonctionnements, rechercher les causes premières, c’est-à-dire le bilan des actions entreprises et établir la relation induite entre organisation, efficience, client, marché) pour apporter des corrections à la façon dont on conduit l’activité. L’apprentissage consiste à prendre conscience de ce qui sous-tend notre façon de travailler, d’organiser, de responsabiliser. La responsabilité, voire l’autonomie croissante, les actions de correction sont les véritables facteurs d’apprentissage. Cela implique d’apprendre à apprendre à auto-organiser. La relation hiérarchique doit s’inscrire dans un rôle de développement de l’autonomie et de métarégulation de l’activité.

C’est par retouches successives que les entreprises qui adoptent le management par projet modifient leur mode de fonctionnement. Ce nouveau savoir associé au savoir des étapes précédentes constitue un patrimoine qui s’enrichit et se transforme. On peut dire que l’entreprise passe d’une organisation rigide et stricte à une organisation d’autonomie contrôlée ou d’une façon plus lapidaire, passe de la qualité « état solide » à la qualité « état malléable ou liquide ». Nous proposons de revenir sur la notion d’« état malléable » dans notre chapitre 4 à travers la notion de plasticité organisationnelle.

Cet apprentissage de l’organisation ne peut exister que si tous les acteurs peuvent effectivement l’accompagner soit du fait de leur propre accumulation d’expérience et de pratique, soit par le bais d’échanges à partir d’un cycle de formation adapté. Le management par projet favorise au sein des dispositifs de communication le développement d'un apprentissage qu'on pourrait qualifier de "spontané". En effet dans un groupe de projets, l'apprentissage des individus se réalise à travers l'application de nouvelles tâches, les échanges d'expériences passées, les essais présents ainsi que le partage de "visions" ou d'objectifs. Il s'agit alors d'un apprentissage qui s'effectue "dans et par l'action" ("learning by doing").

Le projet participe à la dynamique d’évolution globale de l’organisation. L’émergence d’une organisation par projets renvoie à l’invention collective, par les acteurs, de nouveaux systèmes de relations et de savoirs. Chaque projet donne l’occasion à des acteurs de régler le problème de leur coopération, en tenant compte des particularités perçues du projet. Leur coopération est donc nourrie par les régulations qui se sont établies au niveau de l’organisation globale, mais peut également s’en écarter.

Les outils de gestion, les dispositifs de communication, les procédures de répartition des responsabilités, qui sont supposés s’appliquer à tout projet mené dans une organisation vont structurer en partie la coopération des acteurs. Mais ils sont avant tout des enjeux que ces derniers utilisent dans leur stratégie, et auxquels ils donnent sens. C’est cette récursivité qui fonde en définitive la possibilité d’un double apprentissage : l’organisation apprenant au travers de ses projets ; les projets prenant appui sur les apprentissages antérieurs. Le projet, s’il s’inscrit dans des politiques, dans une stratégie globale qui le dépassent, les alimente en retour. Il ne fait pas que refléter les stratégies des acteurs qui y participent, mais peut à son tour les modifier. A l’issue d’un projet, les connaissances et représentations existantes peuvent être soient renforcées, soient modifiées.

Notes
375.

Schön D. « Quelques questions à propos du concept d’apprentissage organisationnel », in l’analyse stratégique, Colloque de Cerisy, seuil, 1996.

376.

GUILHON A., « Le changement organisationnel est un apprentissage », Revue Française de Gestion, n°120, septembre-octobre 1998, pp.98-107

377.

Giddens A. (1984) « La constitution de la société », trad. Fr., PUF, Paris, 1987, 747 p.

378.

Bouchikhi H. « Structuration des organisations », Economica, Paris, 1993, 141 p.

379.

PICQ T. « Le management par projet comme levier du changement organisationnel. Réflexions à partir de deux études de cas », op.cit., 4 et 5 septembre 1997, Montréal, 610 p, pp.477-488, p. 485