3.3.1. la notion de changement organisationnel

Le changement organisationnel n’est pas une idée nouvelle dans les sciences de gestion (Giordano, 1995 380  ; Hendry, 1996 381  ; Hafsi et Fabi, 1997 382 ).

Déjà, dans les années 60, des auteurs, entre autres fondateurs des théories d’organisations, évoquaient de manière implicite ou explicite le « problème » du changement organisationnel pour justifier de la pertinence de leurs théories (Cyert, March, 1963 383 ; Katz, Kahn, 1966 384  ; Savall, 1975 385 , 1981 386  ; Pfeffer, Salancik, 1978 ; Hannan, Freeman, 1977 387 ; etc.).

Guilhon (1998) 388 définit le changement organisationnel comme « un processus de transformation radicale ou marginale des structures et des compétences qui ponctue le processus d’évolution des organisations ». Cet auteur souligne, à l’instar de Hafsi et Fabi (1997) 389 qu’il n’existe pas d’approche ou de modèle consensuel sur le changement organisationnel, mise à part la distinction entre changement volontariste et changement déterministe. Les principales théories de l’organisation à caractère déterministe ou volontariste, traitent du changement organisationnel selon trois critères : les acteurs du changement, la relation entre l’organisation et son environnement et enfin, les modèles spécifiques du changement. Le changement est analysé comme un moyen de création ou d’adaptation à l’environnement dans les théories privilégiant la relation entre l’organisation et l’environnement. Il est le levier d’action ou de réaction des individus dans les théories privilégiant la dimension sociale de l’organisation.

Si l’on considère, dans le cadre de la mise en place de la nouvelle législation sur le temps de travail, que le changement organisationnel est causé par la définition de nouvelles orientations stratégiques décidées par l’entreprise, le changement est alors « le produit de la rencontre entre un environnement perçu et une organisation ».

On se place alors dans ce cas, dans une approche volontariste et, plus particulièrement, dans le courant du management stratégique (Hafsi et Toulouse, 1994 390  ; Savall, 1975 391 ). Il s’agit de « réconcilier » la formulation et la mise en œuvre stratégiques par l’adéquation entre les orientations élaborées par la direction et les possibilités organisationnelles de mise en œuvre. Le changement se réalise dès que l’écart entre les objectifs et les résultats devient critique. L’apprentissage organisationnel découle de cette interaction permanente entre la formulation et la mise en œuvre. Dans cette approche nous pouvons dire en référence à l’exposé précédant que l’entreprise adopte une attitude « malléable ».

Dans l’approche volontariste du changement les auteurs travaillent plus sur le mode de réponse de l’organisation comme processus d’apprentissage que sur l’acte d’apprendre ou de changer. Les individus maîtrisent pour partie, la construction de leur avenir. La contexte et l’histoire dans lequel ils opèrent les changements, expliquent les actions futures. On retrouve les théories de la décision et de ses variantes (Simon, March, 1958 392 ), le courant des relations humaines (Argyris, Lewin), le développement organisationnel traitant plus spécialement du changement planifié (Bennis, 1969 393 ) et les travaux de Crozier et Friedberg sur le rôle de l’acteur. Un des modèles de changement le plus reconnu est celui de Lewin (1951 394 ) caractérisant trois phases dans le processus de changement : dégel, changement , regel. Au niveau sociologique, on retrouve, avec Crozier et Friedberg (1977 395 ), une analyse du changement refusant catégoriquement le déterminisme et adoptant plutôt une vision du changement en termes d’apprentissage, c’est-à-dire par l’acquisition de nouvelles capacités pour inférer une logique d’action.

Dans les travaux de March et al (1972 396 ), le changement y est vu comme un processus stable représenté par la chaîne suivante : l’action détermine une réponse organisationnelle (en fonction des choix) soumise à évaluation et à interprétation guidant à son tour une nouvelle action. Les modèles de Pettigrew (1987 397 ) et de Hafsi et Fabi (1997 398 ) sont probablement les plus complets pour expliquer le changement. Les travaux de Pettigrew cherchent à analyser le processus de changement par l’acte de changement (changing) plutôt que par le moment de changement. L’acte de changement s’inscrit dans une séquence entre le contexte, le contenu et le processus. Cette analyse « contextualiste » permet d’expliquer que le changement radical ou incrémental (le contenu) prend naissance dans un contexte (politique, culturel, entrepreneurial) et constitue un processus dans lequel les dirigeants cherchent à légitimer leurs actions et à reproduire ce contexte.

Si l’on considère que le changement organisationnel est causé par la loi sur les 35 heures, on accorde un poids très fort à l’environnement externe, en particulier législatif, pour justifier les changements organisationnels au sein des entreprises et des organisations. On se situe alors dans une approche déterministe. Le changement ne se fait pas naturellement, mais sous la pression de l’environnement, autrement dit l’entreprise a une organisation rigide. C’est donc une contrainte. On peut se placer dans le cadre de la théorie de la contingence structurelle (Lawrence et Lorsch, 1983 399 ). La structure des organisations reflète l’interdépendance entre l’organisation et l’environnement externe. Si la théorie de la contingence est modérément déterministe et laisse une latitude réduite aux dirigeants (possibilité d’utiliser les heures supplémentaires), le changement organisationnel de structure est imposé par l’environnement lorsque la « congruence » n’est plus assurée entre des variables internes et les variables externes. Le déterminisme n’occulte pas toujours un rôle modéré des acteurs du changement. Ce sont les individus qui font le changement et qui apprennent mais leurs choix sont guidés, influencés par les éléments extérieurs. La réponse de l’organisation est toujours fondée sur la répétition des actions et sur l’adaptation graduelle.

Si nous considérons que dans le cadre de l’ARTT, les entreprises peuvent adopter soit un changement volontariste, c’est-à-dire que le changement est causé par la définition des nouvelles orientations stratégiques décidées par l’entreprise, soit un changement déterministe, c’est-à-dire un changement causé par la loi des 35 heures, ce clivage entre déterminisme et volontariste doit être atténué lorsque l’on s’intéresse à l’analyse des mécanismes de changement. Dans un monde caractérisé par l’éphémère et le transitoire, le changement organisationnel est de plus en plus présenté comme « gérable », mais aussi comme une valeur en soi (Giordano, 1995 400 ). Un changement n’est pas généré et mis en œuvre seulement en fonction d’un dictat de la direction et de la même façon, il n’est pas la simple réponse de l’organisation à une pression externe.

Notes
380.

Giordano Y. « Management stratégique et changement organisationnel : quelles représentions ? », in M. Rainelli, J.-L. Gaffard, A. Asquin (coord.), « Les nouvelles formes organisationnelles », Economica, 1995, 290 p.

381.

Hendry C., « Understanding and Creating whole Organizational Change Through Learning Theory », Human relation, vol.49, n°5, 1996, pp. 621-641

382.

Hafsi T., Fabi B. « Les fondements du changement stratégique », Transcontinental, 1997.

383.

Cyert R. et March J., « A Behavioral Theory of the Firm », Prentice Hall, 1963, op.cit., pp. 143-149

384.

Katz D. et Kahn R., « The social Psychology of Organizations », New York, John Wiley, 1978.

385.

SAVALL H., « Enrichir le travail humain : l’évaluation économique », Dunod, 1975, nouvelle édition augmentée, Economica, 1989, 269 p.

386.

SAVALL H., « Work and people. An economic evaluation of jof enrichment », Préface H.I. Ansoff, Oxford University Press, 1981, 219 p.

387.

Hannan M. et Freeman J., « The Population Ecology of Organizations », American Journal of Sociology, n° 82, 1977, pp. 929-964

388.

GUILHON A., « Le changement organisationnel est un apprentissage », Revue Française de Gestion, n°120, septembre-octobre 1998, pp.98-107, p. 98

389.

Hafsi T., Fabi B. « Les fondements du changement stratégique », op.cit., 1997.

390.

Hafsi T. et Toulouse J.-M., « Les acquisitions et les fusions : les choix stratégiques en conflit et leur mise en oeuvre », Gestion, 1994.

391.

SAVALL H., « Enrichir le travail humain : l’évaluation économique », op.cit., 1975, 1989, 269 p.

392.

Simon H.A. et March J., « Organizations », Wiley, 1958, op.cit.

393.

Bennis W., « Organization change and development : nature, origins and prospects », Addison-Wesley, Reading, Mass, 1969.

394.

Lewin K., « Field theory in social sciences », Harper, New York, 1951.

395.

Crozier M. et Friedberg E., « L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective », Paris, Seuil, 1977, 445 p.

396.

March J., Cohen M., Olsen J. « Garbage can Modele of Organizational Choice », Administrative Science Quarterly, Vol. 17, n°1, 1972.

397.

Pettigrew A., « Context and Action in the Transformation of the Firm », Journal of Management Studies, vol. 24, n°6, 1987.

398.

Hafsi T., Fabi B. « Les fondements du changement stratégique », op.cit., 1997

399.

Lawrence P. et Lorsch P., « Adapter les structures de l’entreprise : intégration ou différenciation », Editions d’Organisation, 1983, nouvelle édition, 1989, 237 p.

400.

Giordano Y. « Management stratégique et changement opérationnel : quelle représentations ? », in Rainelli, Gaffard et Saquin, « Les nouvelles formes organisationnelles », op.cit., 1995, pp.161-179.