3.3.3.1. Les difficultés à mettre en œuvre l’aménagement-réduction du temps de travail

Nous présentons dans la deuxième partie, au chapitre 6, le diagnostic socio-économique des pratiques stratégiques des entreprises et des organisations face à la mise en œuvre de l’ARTT et également l’enquête que nous avons menée auprès de directeurs et cadres d’entreprises. Nous souhaitons présenter dès maintenant, de manière très succincte, quelques difficultés rencontrées par les entreprises et les organisations dans la mise en place de l’ARTT, à partir d’études, principalement des études de la DARES 414 , menées dans ce domaine.

Deux équipes de consultants et de chercheurs en gestion ont enquêté pour la DARES dans dix-huit entreprises qui avaient appliqué l’ARTT dans le cadre de la loi de Robien. Menée au moins un an après la signature des accords, cette étude (Alis et Fauconnier, 2000 415 ) montre que l’ARTT peut être source d’opportunités économiques. Elle montre aussi les risques de déstabilisation que courent les entreprises mal préparées. Les principales difficultés rencontrées sont les suivantes :

  • Difficultés concrètes de mise en œuvre de la nouvelle organisation du travail.
  • Malgré la mise en place de l’annualisation du temps de travail, il arrive que l’entreprise continue à recourir aux travailleurs saisonniers. Par rapport aux prévisions initiales certaines entreprises annoncent un dérapage important du nombre d’heures travaillées.
  • Difficultés pour les responsables d’équipe à mettre en œuvre de nouvelles règles concernant la prise de jours de congés ARTT, formation, congés payés.
  • Difficultés à faire respecter les nouvelles règles de fonctionnement interne, ce qui peut générer de micro-négociations, sources de tensions.
  • Les activités non anticipées accentuent les dérives et multiplient les dysfonctionnements.
  • La négociation est parfois conçue comme un « jeu à somme nulle », les entreprises se contentent souvent d’une simple simulation sur les coûts salariaux, parfois sur les modulations d’horaires et cherchent plus rarement à identifier une nouvelle ventilation des emplois par secteur ou par métier. Elle repoussent en fait dans le temps d’autres phases de « négociation » utiles, sinon nécessaires : sur l’organisation et les conditions du travail à la base, sur les règles du jeu d’un pilotage local des changements d’horaires, de composition des équipes, sur les compétences et la formation, sur les qualification à renforcer…
  • Les entreprises sont peu outillées pour piloter l’ARTT et en évaluer l’impact. L’ARTT influence l’ensemble des outils de gestion de l’entreprise. Or, de nombreuses entreprises apparaissent singulièrement dépourvues d’outils pour anticiper et suivre les évolutions liées à un accord.
  • Absence d’une fonction de contrôle de gestion ne permettant pas ainsi de disposer d’outils de pilotage adaptés.
  • Manque de toilettage des indicateurs de gestion existants.
  • Absence d’indicateurs sur les aspect qualitatifs (qualité, service…). On peut à cet égard se poser la question d’un biais naturel « pessimiste » des indicateurs de gestion sur l’ARTT. Nous rejoignons les positions de M. Berry (1983 416 ), H. Savall (1975 417 ) ; Savall et Zardet (1995 418 ), selon lesquels les nouvelles formes d’organisation du travail (travail enrichi, groupe de projet, travail en équipes…) ont souvent été considérées comme onéreuses, faute d’évaluation économique suffisante pour prendre en compte les avantages spécifiques de ces innovations. Le plus souvent les indicateurs ne prennent pas en compte les notions de « création de valeur pour le client » (innovation produits, service, mode de distribution…), ni certains bénéfices possibles (baisse de l’absentéisme, augmentation de la solidarité des équipes, meilleure gestion des équipes, possibilité d’embaucher), mais se focalisent sur les coûts directs. L’ARTT renforce ce besoin de faire évoluer les indicateurs du contrôle de gestion dans les organisations.
  • Difficultés pour les responsables d’équipe, notamment opérationnels d’accepter, d’utiliser et de s’approprier les instruments de pilotage (résistances aux changements et apprentissage organisationnel).

Les différentes difficultés que nous venons de mettre en lumière, nous semblent constituer une des raisons qui justifie le développement de pratiques stratégiques permettant d’instrumenter, de piloter l’ARTT et d’en évaluer l’impact. La pertinence de la notion de projet stratégique sur l’ARTT naît donc de ces difficultés actuelles.

Notes
414.

DARES : Direction de l’Animation et de la Recherche, des Etudes et des Statistiques

415.

Alis D. et Fauconnier D., « L’impact microéconomique de la réduction du temps de travail. une évaluation pour quelques pionniers », Documentation de la DARES, n°26-2, 2000, 8 p.

416.

BERRY M. , « Une technologie invisible : l’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains », op.cit., 1983, pp. 21-31.

417.

SAVALL H., « Enrichir le travail humain : l’évaluation économique », op.cit., 1975, 1989, 269 p.

418.

SAVALL H. et ZARDET V., « Maîtriser les coûts et les performances cachés », Economica, 1995, 405 p.