4.1.1.1. Le concept de proactivité

Godet (1991 434 ) propose trois attitudes possibles des dirigeants face à l’avenir : la passivité, c’est-à-dire subir le changement, la réactivité : attendre le changement pour réagir, et la proactivité : agir pour provoquer le changement souhaité.

La proactivité peut être considérée comme une attitude ou un état d’esprit tourné vers le futur. En ce sens, nous opposons aux stratégies réactives - qui sont de nature à suivre les modifications de l’environnement interne et externe et donc à s’adapter à une situation détectée - les stratégies proactives qui sont à l’origine des changements.

Pour Pérez (1995 435 ), une entreprise proactive est une entreprise qui ne « doit pas seulement s’adapter à des contraintes de marché, mais tenter de modifier ces contraintes en exploitant tout son potentiel dynamique ».

La stratégie réactive consiste, sans anticipation la plupart du temps, à répondre à une nouvelle contrainte en s’y soumettant comme à une injonction et partant sans créativité suffisante en retour.

Mahé de Boislandelle (1998 436 ) définit la réactivité comme « l’aptitude d’une organisation à répondre aux sollicitations de l’environnement dans un délai rapide. Ces sollicitations peuvent se situer dans les domaines commerciaux, techniques, sociaux… La réactivité est la qualité qui suppose une certaine disponibilité de l’organisation à l’environnement ». Selon cet auteur, « la réactivité se différencie de la proactivité, qui traduit en outre un comportement anticipateur des changements, basé sur l’observation systématique des modifications probables de l’environnement sur un ensemble de plans : commercial, économique, technologique, politique…se traduisant par des adaptations anticipatrices, c’est-à-dire des proactions » .

Les stratégies proactives sont à l’origine des changements grâce par exemple à des actions d’innovation issues d’une vigilance active. Pour Chalus (2000 437 ), une stratégie proactive est plus qu’offensive, dans la mesure où battre un concurrent constitue seulement un des éléments, l’objectif étant d’avancer dans le bon sens, vite et bien et sur des créneaux sans cesse renouvelés grâce à la mobilisation des ressources de l’entreprise.

L’école du choix stratégique voit dans le rôle proactif du manager les fondements d’une manipulation de l’environnement, soutenue par des hommes socialement attachés à servir la vision du management (Harbulot et Baumard, 1996 438 ).

Les manœuvres compétitives des entreprises relèvent souvent du processus de prise de décision. Ce processus est étroitement lié à l’environnement externe et interne de l’entreprise. Dixit (1988 439 ) définit le comportement compétitif comme un problème de prise de décision dans lequel l’entreprise choisit l’agressivité ou la passivité.

Pour H. Savall et V. Zardet (2000 440 ), une entreprise proactive est « une entreprise qui adopte une démarche et une perspective d’anticipation et d’innovation à la fois plus sereines plus créatrices et plus audacieuses que dans les stratégies trivialement qualifiées de réactives ». Selon eux, les concepts de force stratégique et d’ambition stratégique sont à rapprocher de la notion de proactivité. Le concept de force stratégique désigne « la capacité de mobilisation par une organisation de toutes ses formes de ressources (humaines, technologiques, de marché, financières…) ». L'ambition stratégique peut se mesurer par « le différentiel de performance globale recherché (critères de résultats, de portefeuille d'activité et d'amplitude du territoire de pénétration commerciale ». Développer l’ambition stratégique et les forces stratégiques signifie éviter les stratégies apathiques, paresseuses et suivistes. Le développement de l’ambition stratégique par la mobilisation des ressources : humaines-produits-marché-technologie-organisation- constitue un levier pour la performance de l’entreprise. Cette dynamique stratégique montre le processus de rétroaction de la décision de mise en œuvre stratégique actuelle sur la décision d’intention stratégique future (Savall, Zardet, 1995 441 ).

‘Dans le cadre de notre recherche, nous pensons que les entreprises que nous pouvons appeler proactives sont des organisations qui conduisent des stratégies anticipatrices, innovatrices et capables de mobiliser rapidement et durablement toutes leurs formes de ressources (humaines, organisationnelle, technologiques, produits et marchés). De telles entreprises transforment ainsi la contrainte légale que constitue l’ARTT, en opportunité stratégique et intègrent l’ARTT sans détériorer la performance.’

Savall et Zardet (2000 442 ) développent la notion de « stratégies proactives fondées sur les ressources (resource based) et orientées vers la performance globale ». Ils expliquent que la nature d’une stratégie proactive fondée sur les ressources se caractérise par « l’importance accordée dans les choix stratégiques à la valorisation et au développement des ressources propres de l’entreprise (au sens non strictement financier) ». Le potentiel humain prend un rôle clé dans une stratégie fondée sur les ressources. Ledit « facteur travail » constitue dès lors un levier stratégique majeur pour l’activation stratégique de l’entreprise. Le potentiel humain, variable stratégique primordiale, désigne ici les ressources qu’il est possible de mobiliser telles que l’acquisition de compétences, leur mise en œuvre, la réalisation de tâches plus complexes mais qui encouragent les initiatives et la prise de responsabilités, la participation active à des actions de commercialisation, d’information…

Certaines entreprises n’ont pas la volonté de transformer positivement ladite contrainte imposée par les lois Aubry en opportunité stratégique. La nouvelle loi sur la réduction du temps de travail est ainsi vécue par les entreprises et organisations davantage comme une contrainte à laquelle celles-ci répondent comme à une injonction. Dans ce cas, les entreprises et les organisations répondent la plupart du temps par une stratégie réactive, sans anticipation, qui consiste à intégrer la nouvelle contrainte sans la modification de son fonctionnement.

Les entreprises qui adoptent cette attitude réactive vis-à-vis de leur environnement externe, engendrent une forme d’activisme hâtif sans préalable de réflexion (précipitation incontrôlée). En effet, ces entreprises ne veulent pas se remettre en cause aux plans organisationnels : conditions de travail, emploi, relations de service à la clientèle mode de management et de coordination, de sorte que la contrainte institutionnelle exogène affaiblie le développement des activités.

Pour les entreprises qui se trouvent dans une situation stratégique interne ou externe très difficile : conflictuelle au plan social interne ou sous une forte pression du marché (prix, délai) n’ont pas la possibilité de réagir positivement à cette contrainte institutionnelle exogène. L’ARTT entraîne dans ce cas des difficultés supplémentaires, voire une régression de leurs performances, de leur productivité, de leur rentabilité.

Cette typologie des changements stratégiques - attitude proactive ou réactive de l’entreprise - a des implications fortes sur le style de management. En effet, une entreprise dont le management, plus moderne, lui permet de transformer la contrainte légale que constitue l’ARTT, en opportunité pour construire un projet stratégique de développement de ses activités, à la fois qualitatif et quantitatif, digère l’ARTT sans détériorer sa valeur ajoutée et réalise des gains de productivité significatifs. Nous avons qualifié ce type de stratégie de stratégie proactive innovatrice (Savall et Noguera, 2001 443 ). Une entreprise qui, a contrario, n’a pas de réflexes stratégiques proactifs, ou un niveau de compétences inadapté aux évolutions produit-marché-technologie-organisation, peut être déstabilisée et mise en difficulté par l’ARTT. Ce type de stratégie permet à l'entreprise d'intégrer dans une réponse stratégique rapide et durablement innovante ladite contrainte imposée par les lois Aubry. Il est, en effet, préférable pour l’entreprise d’anticiper plutôt que de réagir aux menaces et aux opportunités de l’environnement (Savall, 1975 444 , 1981 445  ; Ansoff, 1987 446  ; Pérez, 1989 447 ).

Notes
434.

GODET M., « De l’anticipation à l’action », Préface de J.-L. BEFFA, DUNOD, 1991, 390 p.

435.

PEREZ R., « Management de crise ou crise du management ? L’affaire Périer-Neslté », 14ème journée des IAE, Nantes avril, Actes édités par BRECHET J.-P. (1998), tome 1, « Valeur, Marché et Organisation », Nantes PAO, pp. 557-576

436.

MAHE DE BOISLANDELLE H., « Dictionnaire de gestion », Economica, 1998, p.366.

437.

CHALUS M.-C., « Dynamisation du dispositif de veille stratégique pour la conduite de stratégies proactives dans les différentes entreprises industrielles », Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université Lumière Lyon 2, 2000, 395 p. + annexes, p. 21.

438.

Harbulot C. et Baumard P., « Intelligence économique et stratégie des entreprises : une nouvelle donne stratégique », Actes du colloque de la 5ème conférence Annuelle de l’Association Internationale du Management Stratégique, 14 mai 1996

439.

DIXIT A. « A general model of R&D Competition and policy », Rand Journal of Economics, 1988, pp. 317-326.

440.

SAVALL H. et ZARDET V., « Stratégies proactives et aménagement et réduction du temps de travail : la compétitivité et l’emploi », Contribution à l’ouvrage collectif Stratégies de compétitivité et emploi, Groupement Scientifique Grand Sud, Février 2001, 25 p., p. 4-5

441.

SAVALL H. et ZARDET V., « Maîtriser les coûts et les performances cachés », 3ème édition, Economica, 1995, 401 p.

442.

SAVALL H. et ZARDET V., « Stratégies proactives et aménagement et réduction du temps de travail : la compétitivité et l’emploi », op.cit., Février 2001, 25 p., p. 4-5

443.

SAVALL H. et NOGUERA F. « Management stratégique du temps de travail : processus, facteurs-clés de succès et résultats. Cas d’une entreprise à développement proactif durable », Cahier de recherche de l’ISEOR, 2001, 25 p.

444.

SAVALL H., « Enrichir le travail humain : l’évaluation économique », op.cit., 1975, 1989, 269 p.

445.

Savall H., « Work and people. An economic evaluation of job enrichment », Préface de Ansoff H.I., op.cit., 1981, 216 p.

446.

Ansoff H.I., « The emerging paradigm of strategic behavior », Strategic Management Journal, vol. n°18, 1987, pp. 501-515, p. 505

447.

PEREZ R., « Contraintes stratégiques et logiques d’action des groupes alimentaires », Economies et Sociétés, série AG, n°20, 23, n°7, 1989, pp.9-26.