8.4.3.1. L’intensification du rôle de pilotage et d’animation de l’encadrement et autonomie des salariés

L’ARTT introduit une nouveauté dans le fait que sa mise en œuvre contraint les cadres à faire en sorte que leurs équipes soient capables de travailler en leur absence. C’est-à-dire que les cadres doivent fournir les informations et les moyens nécessaires à l’action et à la décision. L’absence d’un cadre ne peut pas se réguler en reportant à son retour les tâches qu’il aurait pu réaliser en étant présent. Il s’agit bien d’assurer la continuité de l’activité avec le même niveau de qualité, ce qui suppose de disposer de compétences analogues, mobilisables par d'autres salariés(Pepin et Lefevre, 1997 723 ). L'ARTT nécessite un renforcement de la fonction d’encadrement, pour assumer de nouvelles exigences telles qu'une préparation particulièrement soignée des actions de formation, des recrutements et de l’intégration des nouveaux recrutés, des plannings horaires précis et fiables, de l'organisation des repos compensateurs, des relais d’interface lors des repos des salariés.

L’ARTT n’est pas viable sans un renforcement du contrôle des horaires et un suivi régulier afin de les ajuster. L’encadrement doit rassembler des informations sur son personnel et sur l’organisation du travail pour piloter son secteur d’activité et pour prendre des décisions sur la gestion du personnel.

L’ARTT offre ainsi, l’opportunité de redéfinition des missions et des attributions de chacun dans l’entreprise et donc une reformalisation des nouveaux modes de contrôle et de coordination du management. L'ARTT accroît la fonction de contrôle des horaires du supérieur hiérarchique, moins dans le sens d’un renforcement de l’autorité traditionnelle que dans le cadre d’une fonction de pilotage des équipes.

Nos résultats de recherche montrent que la fonction de contrôle de l’encadrement s’accroît dans ses formes logistiques traditionnelles de planification, suivi des emplois du temps individuels et collectifs, voire la comptabilisation des temps travaillés, capitalisés ou à récupérer par les salariés. L’encadrement devient le vecteur de nouvelles formes de coordination entre les services, garantissant les conditions de l’autonomie des salariés, en termes de choix temporels et d’adaptabilité aux situations de travail. Cet ajustement passe avant tout par la négociation avec les salariés, l’identification de leurs compétences et leurs contributions qui incitent à de nouvelles formes de coopération. Ce contrôle vise à renforcer l’apprentissage et l’autonomie des salariés. Cependant, l’autonomie et la responsabilité ne se décrètent pas, elles relèvent d’un processus d’apprentissage (Nonaka et Takeuchi, 1997 724 ), où l’assimilation des règles peut être incitée par l’encadrement (Cristallini, 1999 725 ).

Pour Thévenet (1999 726 ) « Les évolutions actuelles des organisations ont en commun de montrer que celles-ci ne peuvent fonctionner efficacement que si les personnes prennent sur elles-mêmes pour que cela marche », on retrouve l’importance accordée à l’autonomie au travail et la mobilisation de la personne qui lui est associée.

Cette autonomie des salariés, donnée comme essentielle à la mise en œuvre de l’ARTT rétroagit à son tour sur le fonctionnement de l’organisation. Ces rétroactions successives « répétition d’actions » (Kolb, 1984 727 ) favorisent un apprentissage organisationnel qui conditionne l’acceptabilité du projet par les salariés.

L’autonomie et la responsabilité relève d’un processus collectif d’apprentissage où l’assimilation des règles qui doit être incitée par l’encadrement. Cela implique une responsabilisation du personnel par une décentralisation synchronisée. La mise en place d’une délégation synchronisée permet de développer l’autonomie des salariés. Bonnet et Zardet (1999 728 ) définissent la délégation concertée comme « l’acte de confier à quelqu’un la réalisation d’une opération, en prenant la précaution de s’assurer des moyens dont dispose le délégataire pour la réaliser ». La délégation concertée comporte ainsi, des apports pédagogiques de l’encadrement. L’association des termes délégation et concertée vise à insister sur le mouvement dialectique : mouvement « descendant » d’attribution d’une opération de N+1 vers N, mouvement « remontant » de concertation entre N et N+1.

La gestion stratégique des ressources humaines doit être orientée vers le paradigme des organisations qui promeut la valorisation des ressources humaines, le développement de l’autonomie et de la responsabilisation, le partage de l’information, des connaissances et des récompenses (Morin et Cherré, 1999 729 ). Pour ce faire, l’encadrement doit jouer un rôle important dans la mise en œuvre de l’ARTT en jouant le rôle de « facilitateur » dans la mise en place des formes d’organisation du travail qui misent sur l’intelligence et l’autonomie des personnes humaines. L’encadrement a aussi un rôle d’éducateur et d’animateur de son équipe, car la mise en place et le maintien de formes d’organisation du temps du travail qui concourent à donner du sens au travail et à améliorer la performance organisationnelle nécessite un changement de mentalités. L’encadrement a un rôle de conseiller à jouer auprès des employés, en les aidant à clarifier leurs valeurs et leurs intérêts au travail, à développer leurs compétences pour favoriser leur employabilité et leur performance au travail, et à prendre en main leur projet de carrière. « Facilitateur » du changement dans l’organisation du travail pour améliorer la qualité de vie au travail, éducateurs et conseillers des employés : voilà trois rôles majeurs que doivent jouer les cadres afin de d’augmenter durablement la performance globale et la qualité intégrale de l’entreprise.

Notes
723.

PEPIN M. et LEFEVRE E., « De la réduction à la réorganisation du temps de travail », Travail et changement,n°9, mai 1997, 6 p.

724.

NONAKA I. et TAKEUCHI H., « La connaissance créatrice : la dynamique de l’entreprise apprenante », Paris, De Boek Université, Coll. Management, 303 p.

725.

CRISTALLINI V., « Le rôle des cadres dans le contrôle et l’autonomie - Du contrôleur gardien d’une exécution minimale au pilote d’énergie de transformation », Acte du 10ème congrès de l’AGRH, 9 et 10 septembre 1999, Lyon, pp. 361-374.

726.

Thévenet M., « Le retour du travail et la fin de la gestion des ressources humaines », Introduction de Revue Française de Gestion, « Le retour du travail », n°126, novembre-décembre 1999, 210p , pp. 5-11

727.

Kolb D.A., « Experential Learning. Experience as the source of learning and development », Prentice Hall, 1984

728.

BONNET M. et ZARDET V., « Arbitrage entre autonomie et contrôle, cas d’expérimentation de la méthode de délégation concertée », 10ème congrès de l’AGRH, 1999, pp. 159-170

729.

Morin E. et Cherré B., « « Les cadres face au sens du travail », Revue Française de Gestion, n°126, novembre-décembre 1999, 210 p, pp. 83-93.