8.4.3.2. L’approche expérimentale de la gestion du temps de travail des cadres

Les résultats d’expérimentation montrent que les cadres rencontrent des difficultés de gestion du temps. En effet, la gestion du temps actuelle des cadres est un obstacle ou un frein à la mise en place de l’ARTT. Souvent surchargés, ces derniers imaginent mal comment pouvoir assurer leur mission avec 10% de moins de temps de travail. L’ARTT renforce ainsi pour l’encadrement la difficulté de respecter la durée légale du travail. La mise en place de l’ARTT nécessite donc d’élaborer des outils plus performants permettant de planifier, de programmer leur charge d’activité et suivre la réalité des temps de travail.

L’ARTT est au mieux compatible à terme avec une évolution du rôle des cadres, si celui-ci s’accompagne d’une réduction du temps de régulation des dysfonctionnements sans quoi, l’évolution se fera par un alourdissement du travail de l’encadrement.

Dans le cadre d’un projet d’ARTT les cadres, peuvent procéder à une auto-analyse de leur temps afin de recenser le temps consacré aux activités de régulation des dysfonctionnements (de 10 à 30% selon les métiers et les entreprises). Les première études sur la gestion du temps menée avec une approche expérimentale ont été menées par l’ISEOR. La première de ces études a été réalisée par Savall et Zardet en 1985 730 , à partir de l'analyse de l’emploi du temps (ou de gestion du temps) de deux directeurs d’une banque régionale française. Cette étude visait à développer des instruments d’analyse et une méthode de gestion du temps, qui puissent accompagner une démarche de changement organisationnel.

L’analyse de l’emploi du temps d’un cadre dans une démarche d’ARTT (pendant environ cinq jours) peut être réalisée à l’aide d’une grille d’auto-analyse du temps (remplie par le cadre) inspirée de l’analyse socio-économique des organisations. Cette grille comporte plusieurs critères relatifs à la pertinence et à la valeur ajoutée par l’acteur. La question centrale de l’analyse de l’emploi du temps des cadres avec la grille d’auto-analyse du temps est celle de la valeur (relative) de l’activité réalisée par le cadre. Cette question repose sur la critique du postulat d’isoproductivité du temps qui sous-tend l’approche organisationnelle taylorienne. Dans l’approche taylorienne, la valeur de l’heure de travail est en effet une valeur théorique, calculée en fonction d’une situation d’orthofonctionnement, c’est-à-dire en fonction d’une situation « normale » théorique ou souhaitée, du fonctionnement de l’organisation. Or, cette valeur théorique de l’heure de travail, par exemple la valeur salariale (du cadre comme de l’ouvrier), ne représente que le coût théorique pour l’organisation de l’heure travaillée et ne correspond pas à la valeur réelle produite dans l’heure travaillée. L’existence de dysfonctionnements organisationnels peut entraîner des écarts importants entre la valeur théorique et la valeur réelle de travail réalisés et la méthode des coûts cachés permet d’évaluer économiquement ces écarts.

Les différents critères retenus pour la grille d’auto-analyse du temps vont correspondre à cette approche. Ainsi, le critère de « valeur ajoutée », de très forte à très faible, correspondra à la valeur réelle estimée par le cadre. Le critère « type d’activité » permettra de distinguer les tâches correspondant aux objectifs de la fonction occupée (gestion courante, pilotage stratégique et prévention de dysfonctionnements) des tâches liées à des dysfonctionnements organisationnels (régulation dysfonctionnements, glissement de fonction). Ces critères permettent une analyse des activités et une évaluation relative de la valeur des activités.

L’auto-analyse d’une grille de gestion du temps d’un cadre, par exemple, est intéressante puisqu’elle fait apparaître les temps consacrés aux activités de régulation des dysfonctionnements et aux glissements de fonction c’est-à-dire des temps consacrés à des tâches ne faisant pas partie de sa fonction. Dans la théorie socio-économique, la grille d’auto-analyse du temps est une méthode de gestion du temps qui s’intègre à la méthode de diagnostic et de changement organisationnel. Toutefois, la transformation des comportements ou des pratiques individuelles de gestion du temps semble être conditionnée par une transformation du contexte de travail des personnes concernées. La transformation des pratiques individuelles de gestion du temps implique donc une transformation des pratiques collectives de gestion du temps. Cette approche collective, voire organisationnelle, de la gestion du temps suppose de mettre en en œuvre un processus intégral de changement de l’organisation afin de permettre une transformation et un apprentissage des pratiques individuelles de gestion du temps. La restructuration profonde du temps et du contenu du travail de l’encadrement, dans une démarche de projet d’ARTT, est un facteur-clé de succès pour obtenir des effets bénéfiques durables pour les cadres eux-mêmes, et corrélativement pour l’ensemble de l’entreprise.

Notes
730.

SAVALL H. et ZARDET V., « Amélioration de la gestion du temps : outils conceptuels et méthodes opératoires. Cas de l’équipe de direction d’une banque régionale », Rapport de recherche Iseor, juin 1985, 70 p.