8.4.4. la construction des apprentissages organisationnels par les acteurs

Nous posons à présent la question de l’apprentissage organisationnel : quelle dynamique développe l’ARTT en termes de changement et d’apprentissage organisationnel ?

8.4.4.1. L’apprentissage organisationnel

La profusion des travaux relatifs au processus d'apprentissage organisationnel mêlant les approches théoriques à de parcimonieux récits en milieu réel, impose-t-elle un regroupement sommaire en deux conceptions majeures (Charue, 1991 731 ). L'une d'ordre individuel où le processus d'apprentissage organisationnel s'instaure dans l'action d'un ou de plusieurs individus qui construisent et mémorisent les connaissances utiles à l'ensemble de l'organisation (Senge, 1991 732 ). L'autre d'ordre organisationnel où l'organisation est considérée comme une entité indivisible. L'apprentissage ne se réalise pas à travers les actions de ses membres mais demeure au contraire indépendant des actions individuelles.

Argyris et Schön (1978 733 ), définissent l’apprentissage comme « un processus de détection et de corrections d’erreurs, comme une résolution de problème ». On peut analyser l’apprentissage organisationnel comme une relation de l’entreprise elle-même. Cette approche endogène étudie plus spécifiquement les processus d’apprentissage et de développement des savoirs dans l’organisation. Il s’agit de comprendre comment l’organisation repère ses dysfonctionnements, les corrige et capitalise ses expériences. Pour Kolb (1984 734 ), l’apprentissage crée la connaissance et du savoir, à partir de l’expérience et de l’action.

Les travaux de la cybernétique, notamment de Wiener (1943 735 ), sur les automates, apportent un concept qui peut être considéré comme précurseur à l’apprentissage organisationnel : le concept de rétroaction (feed back) pour rétablir un état de fonctionnement souhaité. Le principe est d’entrer comme une donnée de pilotage la différence entre le fonctionnement souhaité et un fonctionnement effectif pour réduire sans cesse cet écart en compensant les effets amplificateurs des contraintes extérieures.

Argyris et Schön (1978 736 ) propose une approche organisationnelle de l’apprentissage. Il situe la capacité d’apprentissage dans une itération de séquences action-évaluation-correction qu’il place dans trois processus d’apprentissage. Le premier consiste à détecter les erreurs et les corriger dans un même cadre de fonctionnement, le second est la modification du cadre lui-même et le troisième est l’apprentissage de l’apprentissage, c’est-à-dire la nécessité d’apprendre comment réaliser les deux premiers processus d’apprentissage.

La distinction ancienne et désormais classique opérée par Argyris et Schön (1978 et 1996 737 ) entre apprentissage « à simple boucle » (single loop learning), et apprentissage « à double boucle » (double loop learning) (1978, 1996) est de ce point de vue, l’une des plus éclairantes.

Reprenant les travaux de ces deux auteurs, Grimand (1999 738 ) expliqueque l’apprentissage à simple boucle opère à partir de la détection d’un dysfonctionnements par rapport à un résultat attendu : défaut de qualité… L’investigation des erreurs permet en retour une amélioration des pratiques ou stratégies d’action, afin de ramener la performance à des seuils acceptables, mais sans remettre en cause les schémas de pensée ou les représentations dominantes de l’organisation. Cet apprentissage vise à améliorer la performance organisationnelle par la consolidation des savoirs existants. Son schéma d’application est restreint et porte généralement sur la formalisation de procédures ou l’amélioration des modes opératoires. Fondé sur la répétition, procédant par itérations successives et séquences d’essais-erreurs, ce mode d’apprentissage contribue à la stabilisation de l’organisation, s’enracine dans des routines organisationnelles. L’apprentissage à double boucle mobilise face aux dysfonctionnements non seulement de nouvelles stratégies d’action, mais implique plus profondément un changement dans le système de normes ou de règles de l’organisation. Tournée vers l’exploration, l’innovation, la création de connaissances, cette forme d’apprentissage induit une déstablisation de l’organisation, cet apprentissage se traduit par une transformation des savoirs existants, le renouvellement des théories en usage dans l’organisation et le développement de nouveaux cadres d’interprétation.

Ainsi, l’apprentissage de nouveaux modes d’organisation et de management par les acteurs de l’organisation dans une démarche d’ARTT se fait par tâtonnements et approches incrémentales du type « essais-erreurs », mais se construit également par un véritable engagement des acteurs. Ce phénomène d’apprentissage est amplifié par les interactions qui existent entre le contenu et le processus transformatif et par l’existence du projet.

Notes
731.

CHARUE F., "Les entreprises peuvent-elles apprendre", in Analyses de la SEDEIS, N°84, Nov. 1991.

732.

SENGE P., La cinquième discipline, Ed. F1RST, Paris, 1991.

733.

Argyris C. et Schon J.W., « Organizational Learning », Addison-Wesley, 1978, 450 p.

734.

Kolb D.A, « Experiental Learning : Experience as the Source of Learning and Development », Prentice Hall, 1984.

735.

Wiener N., « La cybernétique ou le contrôle et la communication chez l’animal et la machine. Introduction », 1948, in Pelissier A., TETE A., « Sciences cognitives, textes fondateurs (1943-1950)" » Editions PUF, Collection Psychologie et sciences de la pensée, 1995, 303 p., pp. 1-37.

736.

Ibid.

737.

Argyris C. et Schön D. « Organizational Learning : a theory of action perspective », Addison Wesley Publishing Compagny, 1978, 2ème édition 1996, op. cit.

738.

GRIMAND A. « L’entreprise apprenante : une conceptualisation inachevée ? », AIMS, ECP, mai 1999, 23 p.